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mont pendant les premières années du règne de Victor-Emmanuel, et enfin en 1857 le parlement de Turin donna son avis. À cette époque, le Saint-Gothard avait peu de partisans; il avait été mal étudié, et, au dire des ingénieurs, il présentait des difficultés insurmontables. M. Cattaneo, un des grands économistes de l’Italie, était presque seul à le défendre; seul il attaquait le projet du Lukmanier, qui jouissait de la faveur générale. « Pourquoi, disait-il, vouloir gagner le lac de Constance? pourquoi laisser de côté Bâle et le Rhin? Vous dites que de ce côté vous craignez pour Gênes la concurrence de Marseille; mais ne voyez-vous pas que pour éviter Scylla vous allez vous jeter contre Charybde? Vous vous trompez étrangement, si vous croyez qu’arrivés dans la Haute-Bavière vous allez être à l’abri de toute concurrence. Vous y rencontrerez les chemins de fer maintenant en projet, et qui bientôt, à travers le facile passage du Brenner, gagneront les ports de l’Adriatique. Si vous choisissez le Saint-Gothard, au lieu d’aller aboutir dans un coin de la Suisse, sur les frontières de l’Autriche, vous passerez au beau milieu du territoire de la confédération, et vous établirez un des tronçons de la grande artère européenne qui doit joindre les ports du nord par le Rhin, la Suisse et l’Italie, au port de Brindes, c’est-à-dire à l’Orient. Comme on le voit, M. Cattaneo avait dès lors des vues très nettes et très exactes sur la question; mais il ne put vaincre les préventions accréditées contre le Saint-Gothard, et le parlement se prononça pour le Lukmanier.

La guerre de 1859 survint, et la Lombardie fut réunie au Piémont d’autres provinces s’y annexèrent successivement. De nouveaux élémens se trouvaient ainsi introduits dans la question, le centre du royaume était déplacé, et il y avait désormais à tenir compte d’autres intérêts. Les Lombards mettaient en avant les passages du Splugen et du Septimer, auxquels le parlement subalpin n’avait pu songer en 1857, puisqu’ils débouchaient alors dans les possessions autrichiennes. Il devenait nécessaire de procéder à un nouvel examen du problème. M. Jacini, choisi par le comte de Cavour comme ministre des travaux publics, institua, en 1860, une commission administrative à cet effet. En même temps le gouvernement italien, sachant bien que les préférences des cantons helvétiques étaient acquises au projet du Saint-Gothard, chargea le ministre d’Italie auprès de la confédération de s’assurer du concours financier que la Suisse pourrait prêter à ce projet. « Comme le Saint-Gothard ne manque point de bonnes raisons qui puissent être produites en sa faveur, disait la dépêche italienne, il serait nécessaire de savoir si la confédération et les cantons les plus directement intéressés sont prêts à favoriser par un concours finan-