Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à 1,500. Chassée des points culminans par la force du vent, elle s’amasse au fond des gorges et des tranchées, et comble les inégalités du terrain. Entre 1,500 et 2,000 mètres d’altitude, il n’est pas rare de rencontrer des amoncellemens de neige de 15 mètres d’épaisseur. Quand il s’agit d’une route ordinaire, cet état de choses n’arrête pas la circulation, et l’on a recours aux traîneaux pour faire les transports; mais c’est là un expédient qui n’est plus applicable sur une voie ferrée. On a bien quelques ressources pour défendre le chemin de fer. On peut élever un remblai du côté d’où le vent souffle d’ordinaire et arrêter ainsi la neige comme par un mur; on peut aussi creuser du même côté un large fossé pour qu’elle aille s’y accumuler. Enfin on peut placer la voie sur un viaduc à tablier ouvert qui donne passage à la neige. Toutefois ces moyens de défense sont souvent impraticables, et ils peuvent être insuffisans. Il faudrait alors, pour empêcher la voie de s’encombrer, la déblayer à bras d’homme ou avec des machines spéciales à mesure que la neige tombe. On comprend combien cette méthode serait d’une application difficile et incertaine. Aussi estime-t-on maintenant qu’à partir d’une certaine altitude la voie doit être établie dans un souterrain. C’est à 1,200 mètres environ que les ingénieurs les plus expérimentés fixent la limite à partir de laquelle on doit recourir à ce moyen. Nous avons parlé de la quantité de neige qui tombe; il faut tenir compte aussi de la durée de la mauvaise saison. A 700 mètres, la neige tient pendant trois ou quatre mois; elle dure pendant cinq ou six mois à 1,000 mètres et pendant huit ou neuf mois à 2,000; vers 2,500 mètres environ commencent les neiges éternelles. On voit donc qu’à 1,200 mètres déjà on aurait à lutter contre l’obstruction de la voie pendant une notable partie de l’année.

On s’est néanmoins bercé pendant longtemps de l’espoir de conduire la voie ferrée jusqu’au sommet des cols alpestres qui n’ont que 2,000 ou 2,100 mètres de hauteur. Plusieurs projets ont été élaborés dans ce sens. MM. Michel et Pestalozzi ont exploré le Lukmanier à ce point de vue. M. Eugène Flachat, qui a spécialement étudié la traversée des Alpes et publié un livre à ce sujet, s’est prononcé dans le même sens il déclare que le chemin du Mont-Cenis, passant à ciel ouvert par des hauteurs de 1,300 mètres, fonctionnerait sans inconvénient au milieu de la région des cônes d’éboulement, des neiges de longue durée et des avalanches; il en conclut qu’on s’exagère l’importance de ces obstacles, et qu’on en peut triompher même à des hauteurs plus considérables. Toutefois l’opinion soutenue par M. Flachat est à cette heure généralement abandonnée, et on reconnait que les difficultés croissent rapidement, jusqu’à devenir insurmontables, à mesure que l’on s’élève au-dessus