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fêtes, viendrait certainement à celle-là. Le voir succomber dans une de ces folles soirées que la vieille noblesse maudissait comme des mascarades ruineuses et impies, empruntées par le roi de Suède à la corruption étrangère, serait quelque chose de providentiel. Le temps pressait d’ailleurs, et le secret, déjà soupçonné, ne pouvait plus être gardé. Après avoir dîné chez Pechlin, Anckarström, Horn et Ribbing se rendirent quelques heures après au théâtre ils devaient se reconnaître à leurs dominos, d’une couleur noire uniforme. Le roi, de son côté, avait soupé seul avec le baron Essen dans un petit appartement qui lui était réservé à l’intérieur même du théâtre. Pendant le souper, à dix heures du soir, on lui apporta une lettre anonyme, écrite au crayon et en français. L’auteur révélait le complot, qu’il venait d’apprendre, disait-il, seulement depuis quelques heures. Il suppliait le roi de ne pas se rendre au bal, puis, s’il voulait échapper aux assassins, de changer de conduite. On devait croire à son témoignage il était de ceux qu’avaient indignés les désordres et les coups d’état. Lors de la diète de Gefle, il n’aurait pas hésité à mettre l’épée à la main contre le roi et ses mercenaires, si le gouvernement avait employé, comme on avait pu le croire un moment, les mesures illégales et violentes. Il ne s’en cachait pas; mais il était homme d’honneur et ne voulait pas charger sa conscience d’un crime de régicide.

Gustave, après avoir lu deux fois ce billet du comte Liliehorn, resta silencieux, acheva le souper, puis se rendit avec Essen sans un moment d’hésitation, vers sa loge, d’où il était pour tout le monde fort en vue. Alors seulement il montra le billet anonyme à son compagnon, qui le supplia de ne point descendre sur la scène; Gustave lui répondit qu’une autre fois il prendrait une cotte de mailles, et c’est tout ce que le baron obtint. Tous deux passèrent alors dans le salon qui précédait la loge et revêtirent des dominos. En traversant les coulisses, Gustave, qui donnait le bras à Essen, lui dit: « Voyons s’ils oseront bien me tuer! Les danses étaient dans tout leur éclat quand il fit son entrée. Bien qu’il fût masqué, ces mots « voici le roi, circulèrent parmi tous les groupes. Gustave fit lentement le tour de la salle, entra dans le foyer, et s’y promena un instant. Lorsqu’il voulut revenir, il se trouva tout à coup entouré et pressé par un groupe de dominos noirs. L’un d’eux, — c’était le comte de Horn, — lui posant la main sur l’épaule, lui dit « Bonjour, beau masque! C’était le signal. Au même instant, le pistolet d’Anckarström, qu’on avait eu soin d’entourer de laine, fit retentir. un bruit étouffé. Le roi s’écria: « Je suis blessé; arrêtez-le » mais des cris « au feu sauvez-vous! » partis de divers points de la salle, jetèrent partout la confusion. On se précipitait,