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server, de maintenir, de léguer à ses successeurs la constitution de 1772, constitution rédigée par lui-même et acceptée sans amendement par la nation suédoise? D’après ma conviction, cet homme est devenu un parjure il a cessé d’être roi. Entre la nation et lui, le pacte est rompu. Bien plus, il est écrit dans la loi : Celui qui s’efforcera de changer ou de détruire cette loi fondamentale sera regardé comme ennemi du royaume. Or, par son acte de sûreté, le roi Gustave est devenu ennemi public, et comme dans une société organisée il faut se défendre et se protéger mutuellement, il a dû être permis à la main qui voulait s’armer de repousser par la force la force qui menaçait la communauté. J’avais donc résolu immédiatement après Noël de tuer le roi le plus court chemin me paraissait être de donner ma vie pour le bien public. Vivre malheureux dix ans de plus ou dix ans de moins n’était rien, à mon gré, devant l’espoir de rendre le bonheur à mon pays… »


Patriotisme étroit et aveugle fanatisme, telle est, comme on voit, la double inspiration qui anime Anckarström. C’est le ressentiment de sa caste qui l’éclaire seul sur les fautes de Gustave III envers le reste de la nation, et il se croit chargé de punir le tyran. Sa déposition nous intéresse à un double point de vue elle nous montre ce qu’était devenue cette partie de la noblesse suédoise qui, après avoir tant abusé elle-même du pouvoir, ne trouvait plus d’autre issue que le régicide à l’oppression qu’elle subissait à son tour, et elle nous rappelle en même temps, sous la forme d’un témoignage irrécusable, par quelle série d’inégalités Gustave courut vers sa perte.

Nous avons le droit de mettre sur le compte de la noblesse l’acte d’Anckarström, car tous ses complices furent des nobles que les griefs particuliers de leur ordre avaient excités tout d’abord. À ces griefs venaient se joindre pour chacun d’eux des haines personnelles et quelques suggestions de nature à nous éclairer sur la situation générale.

Si le capitaine Anckarström tenait l’arme dans la soirée du 16 mars, c’était le comte de Ribbing qui dirigeait la main mal assurée du principal assassin. Celui-là avait puisé ses premiers sentimens contre Gustave III dans le détestable entourage de la reine-mère. On se rappelle que la médisante et sceptique Louise-Ulrique, sœur du grand Frédéric et mère de Gustave, encourageait elle-même contre son propre fils les plus cruelles médisances. Ribbing, dont le père occupait auprès de cette princesse une charge de cour, y entendit de sanglans sarcasmes et s’y habitua au mépris. Il en vint à ce degré d’audace de vouloir édifier son crédit sur la crainte qu’il inspirerait au roi, dont il connaissait la crédulité superstitieuse. Dans les fréquentes visites que Gustave III rendait à la devineresse, Mlle Arfvedsson, celle-ci lui prodiguait des me-