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rait dévolue après la mort du prétendant; il comptait ensuite faire placer le duc Charles à la tête de la neuvième province maçonnique, qui comprenait la Suède et une partie de l’Allemagne du nord. Il espérait en outre qu’en faisant valoir les anciens droits de l’ordre teutonique, il pourrait revendiquer toute une province que la Russie avait gagnée sur la Suède. La Livonie n’avait pas oublié ses liens d’origine, et la noblesse suédoise était encore attachée à ce pays par de nombreuses relations de parenté. Que Frédéric II et Catherine II mourussent, et, quelques vieux parchemins aidant, on ramènerait facilement à soi cette ancienne possession, dont on ferait pour le prince Charles un beau duché.

Malheureusement la franc-maçonnerie ne devait pas plus satisfaire le roi de Suède dans ses intérêts temporels que dans ses espérances spirituelles. Loin de là, elle avait le grand tort de grouper autour de lui, encouragés par sa confiance, les dupes, les fourbes et les conspirateurs politiques. Tout cet appareil d’évocations, de sortilèges, d’opérations mystiques, allait multiplier autour de Gustave les embûches et servir de masque à ses ennemis. C’est précisément autour du prince Charles, frère de Gustave III, que se tramèrent de viles et redoutables intrigues. Le duc de Sudermanie, le même qui devint régent pendant la minorité du malheureux Gustave IV, puis roi, après la révolution de 1809, sous le nom de Charles XIII, avait eu, comme grand-amiral de la flotte suédoise, quelques belles journées dans la guerre de 1789 et 1790 contre les Pusses. Hors cela, son caractère était misérable défiant et sournois, toujours la larme à l’œil et l’oreille au soupçon, d’une ambition intraitable autant que puérile, esprit obtus, la faiblesse morale personnifiée, c’était l’homme qu’il fallait aux magnétiseurs et aux nécromanciens excellent medium, comme on dirait aujourd’hui, et de plus en position de bien récompenser quiconque flatterait sa manie. Nommé maître d’une province maçonnique, il s’habillait en vicaire de Salomon, avec un uniforme bleu et rouge qui manquait absolument de couleur locale, et paraissait ainsi, se pavanant en ville et au théâtre. Auprès de lui se rencontraient les voyans les plus habiles. Il se rendait la nuit avec eux dans quelque maison déserte, dans quelque église abandonnée, au milieu de la campagne. Là, après les invocations magiques, on respirait des senteurs étranges, on apercevait des lueurs et des formes inattendues, des feux errans, des flammes sur les pierres sépulcrales, pendant que les inspirés prononçaient des oracles et prédisaient l’avenir. Dans le palais même, le duc Charles multipliait les épreuves qu’invoquait sa curiosité insatiable. De telles scènes n’étaient que ridicules quand un adroit opérateur se contentait, comme le racontent les mémoires contemporains, de soulever un chapeau ou d’agiter