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Ayant entendu parler d’un certain Reuschenberg qui passait pour faire merveille, il envoya à sa recherche sur les bords du Rhin. le colonel Toll remplit à cette occasion, pour le service de Gustave III, une mission maçonnique dont le récit, dans ses dépêches au roi, est fort instructif. Après avoir atteint, non sans peine, ce voyant, plus renommé au loin que dans son propre pays, Toll vint à Paris et y rencontra Cagliostro qui lui dit d’un ton d’inspiré « Je sais que vous cherchez la vérité et la lumière, et vous la trouverez. La Suède est en grâce particulière auprès des maîtres de la science. Écrivez à votre roi que je promets de lui donner ce dont il a soif, et bien davantage encore. Avant que vous ne soyez de retour dans votre patrie, vous serez édifié sur le sens de mes paroles. Je n’ai pas besoin de savoir par où vous allez je vous atteindrai, quelque part que vous vous trouviez. Ne révélez à personne, si ce n’est au roi votre maître, cet entretien. Je ne suis pas comte, je ne m’appelle pas Cagliostro; qui je suis, cela se révélera quelque jour. » Cela dit, joignant les mains, et les yeux baignés de larmes, il se mit à prier, bénit son interlocuteur, et demanda pour lui-même à Dieu que sa transformation fût prochaine; le monde saurait alors qui avait été Cagliostro. Tout cela n’empêchait pas l’autre illuminé, Reuschenberg, d’affirmer, à quelques jours de là, devant Toll, et sans attendre une décision d’en haut, que Cagliostro n’était qu’un charlatan. Toll, en appuyant ce jugement sommaire, proposait au roi de l’étendre, après l’examen qu’il venait de faire, aux deux adeptes à la fois.

Détrompé ou non, il est certain que Gustave III voulut, en certaines occasions, faire servir la franc-maçonnerie à sa politique. Quand on le vit par exemple, lors de son voyage de 1784 en Italie, rechercher le prétendant Charles- Édouard, solliciter en faveur de ce malheureux prince le pape, le roi d’Espagne, le roi de France, et disposer même en faveur de son protégé d’une somme importante, c’est qu’il avait en tête d’étranges desseins. On lui assurait que le prince était reconnu secrètement encore comme l’unique chef de l’ancien ordre des templiers et de l’ancien ordre teutonique, qui subsistaient, disait-on réunis. Gustave recherchait toujours des événemens extraordinaires qui lui pussent procurer à la fois de la gloire et beaucoup d’argent. D’ailleurs, son frère Charles, duc de Sudermanie, d’un caractère faible et inquiet, n’avait pas vu sans un vif mécontentement la naissance d’un prince royal déjouer ses espérances, et le roi désirait trouver un moyen de flatter et d’occuper cet ambitieux. Dans ces circonstances, Charles-Édouard lui parut se trouver fort à propos sur sa route. Gustave crut obtenir de Charles-Édouard, pour lui-même d’abord, d’être adjoint, avec le titre de coadjuteur, à la grand’maîtrise des deux ordres, qui lui se-