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résistance invariable. Le mécontentement prit au dehors une forme hostile; la désastreuse année de 1816 produisit la disette; le blé dépassa le prix de 44 francs l’hectolitre. La misère amena la révolte. A l’une on répondait par des prohibitions, à l’autre par la force. L’habeas corpus fut suspendu comme au temps de la révolution française. Une collision violente de la yeomanry et du peuple ensanglanta les rues de Manchester et a laissé un tragique souvenir. Six actes de répression furent votés contre les rassemblemens tumultueux. Un complot n’en menaça pas moins la vie des ministres. Ces faits graves, mais mal appréciés dans leur cause, ramenèrent dans la classe puissante des propriétaires ruraux, amis ombrageux de l’ordre public, quelque chose des alarmes créées par la révolution française, et le cabinet y puisa la force dont il avait grand besoin. La crainte du désordre est le salut des mauvais gouvernemens.

L’accession de Canning, qui, las d’attendre son jour, avait accepté en 1816, la présidence du bureau du contrôle de l’Inde, n’avait pas beaucoup relevé l’ascendant parlementaire du cabinet, tandis que l’opposition, conduite par Tierney, qui avait succédé à Ponsonby, et renforcée par la verve puissante et le talent sarcastique de Brougham, assaillait avec une inutile supériorité une majorité inébranlable. Des juges éclairés accusaient le ministère d’être tour à tour arrogant et insignifiant; mais le torysme restait maitre de ses positions, et continuait à creuser comme un fossé profond entre les hautes et moyennes classes d’une part et les masses populaires de l’autre. Il semblait encourager le radicalisme démocratique, qui, inquiétant à son tour l’esprit conservateur, valut encore au pouvoir une majorité prononcée aux élections de mars 1820. Cette dissolution avait été provoquée par la mort du roi. Après soixante ans de règne, ce prince, populaire par ses préjugés mêmes, influent par ses défauts, respecté pour ses infirmités, emportait la singulière gloire d’avoir, comme la reine Anne et sans y contribuer plus qu’elle, présidé au plus mémorable développement de la puissance de son royaume. Sa mort n’aurait eu nulle importance politique, car elle n’ajoutait rien au pouvoir de droit et de fait de la régence, si la situation et l’exigence de son successeur n’eussent provoqué une des plus étranges crises que le gouvernement anglais ait dû traverser; mais ici il peut être à propos, dans une seconde partie de ce travail, de faire un peu mieux connaître le nouveau roi.


CHARLES DE RÉNIUSAT.