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de tous de faire échapper le criminel ou le débiteur. Aussi toute l’habileté des brehon s’est-elle appliquée à trouver le moyen d’amener les gens devant la justice. C’est le premier intérêt ; tous les autres sont sacrifiés.

Quiconque croit avoir une plainte civile ou criminelle à porter contre quelqu’un commence par saisir sa propriété, et naturellement la portion de cette propriété la plus facile à transporter, ses bestiaux. Il les place dans un enclos, celui du chef, celui de l’église, ou le sien propre, après en avoir donné avis, et dans le cas où, sur la présentation de l’avis, on ne lui a pas offert caution. Là les bestiaux sont gardés et nourris pendant un certain nombre de.jours, trois, cinq ou dix, aux frais de la personne saisie, qui paie en outre une amende d’environ deux vaches par chaque jour qu’elle tarde à comparaître. Au bout de la période fixée, si elle n’a pas comparu, les animaux saisis sont confisqués, et l’on procède à une autre saisie contre la même personne, ou contre un de ses parents, ou contre un des membres de sa tribu, et l’on recommence jusqu’à ce que la personne attaquée ou ses ayant-cause aient consenti à comparaître : Ce n’est pas tout. Comme, en cas de défaut, on poursuit successivement les parents jusqu’au dix-septième degré pour les causes ordinaires, ceux-ci ont le droit d’opérer la saisie sur chacune des personnes responsables d’un degré plus rapproché, en sorte que chacun est dépouillé de son bien et enlève le bien d’un autre.

Lorsque c’est contre un chef qu’une action est intentée, la loi est plus favorable au défendeur. D’abord l’homme d’un rang inférieur qui attaque celui d’un rang supérieur est obligé d’acheter le concours d’un autre chef sous peine de payer une amende considérable et d’être mis hors de cause pendant un jour, une semaine, un mois, un an. Ensuite le temps du délai qui doit s’écouler entre l’avis de la saisie et la saisie même est doublé, de façon à donner plus de facilité à se procurer une caution. Enfin les dommages et les amendes encourus pour les illégalités auxquelles expose sans cesse la complication de la procédure sont quadruples quand la partie adverse est le roi ou une personne du même rang, doubles quand c’est un chef du second rang, et simples quand c’est un homme d’une classe inférieure. Également le temps accordé à chacun « pour parler devant le juge et pour reprendre haleine » est mesuré sur la dignité des personnes. Il devait être presque impossible d’obtenir justice de l’homme riche, et même de l’actionner. Comme remède à ce déni de justice, on eut recours à un procédé d’une nature étrange.

En même temps qu’on donnait avis de la saisie à un chef, on devait, sous peine d’amende et sous peine aussi d’être débouté de la demande, jeûner à sa porte jusqu’à ce qu’il eût fourni caution. Cela