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signification) qui possède sa fortune légale et a le chaudron toujours plein. Ce chef s’appelait en irlandais le brewy, et l’on a laissé le mot irlandais dans la traduction anglaise, bien qu’à l’aide des gloses le sens tût facile à préciser. Quiconque avait un tenancier était un chef, et les chefs du dernier degré sont ceux qui n’ont qu’un tenancier. Au premier degré sont les brewy, dont l’honneur, comme dit une glose, est de garder chez eux des animaux gras impropres à la reproduction. Le brewy du premier rang, car il y en a deux, est un homme qui vit dans une maison à quatre portes, à travers laquelle coule un ruisseau d’eau vive, pour produire un courant d’air et chasser l’humidité. Il doit entretenir au moins deux cents ouvriers et posséder deux cents têtes de bétail de chaque espèce. Il doit avoir son chaudron toujours pendu à la crémaillère et toujours plein de trois espèces de viande, bœuf, mouton et porc, avec une juste proportion de gras et de maigre, afin d’être toujours en mesure de remplir les devoirs de l’hospitalité. Il faut que l’on puisse tirer du chaudron une nourriture suffisante pour tout venant et convenable pour chacun suivant son rang : la hanche pour le roi, pour l’évêque et pour le brehon, le gigot pour le jeune chef, la tête pour le conducteur du char, et le filet pour la reine. Au roi contre lequel il y a de l’opposition, on ne donnera que les parties inférieures de l’animal, parce qu’il n’a droit alors qu’à la moitié des honoraires de son rang. C’est comme compensation aux charges de l’hospitalité que des dommages ou des honoraires supérieurs ont été accordés au brewy ; mais si d’une part il reçoit des dommages considérables pour tous les préjudices qui lui sont causés et de fréquents honoraires pour tous les témoignages qu’il est appelé à porter, il est exposé d’autre part, en vertu des parentés sociales, à payer les dettes, les compensations et les amendes d’une infinité de personnes. Sa situation est presque aussi précaire que celle des rois. Il y avait probablement au Ve siècle autant de fils de rois et de fils de brewy réduits à la misère ou à une condition médiocre, qu’il y en a aujourd’hui. Aussi les anciens annalistes irlandais ne disent-ils pas : « Dans tel combat mourut le fils d’un roi. » Ils disent : « Dans tel combat mourut celui dont on aurait pu faire un roi. » Le préambule du Senchus se termine par un appel à la révolte contre les chefs qui ne remplissent pas leurs devoirs. C’est justice sous un régime où la naissance donne l’aptitude à la propriété et au pouvoir, et où elle n’assure ni la propriété ni le pouvoir. La mobilité dans la situation des personnes y fait la stabilité des choses.

On voudrait pénétrer plus avant et trouver dès la première ligne du Senchus le principe fondamental de cette société qui a été un gigantesque effort pour sortir de la barbarie, et qui, le premier pas accompli, a toujours été rebelle au progrès. La curiosité est-elle