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pas souvent le droit strict, mais ils l’appliquent en rigueur. Leur justice hautaine est sans cordialité ni bienveillance, et ce que l’intérêt public leur prescrit, ils l’exécutent sans ménagement. Ils ne se piquent pas de se faire pardonner leur victoire. Du moins le grand reproche à faire au parti tory, et surtout aux ministres qui l’ont représenté si longtemps, est-il de ne s’être pas dès le premier moment inquiétés de savoir si les peuples pour qui l’Angleterre venait, disait-elle, de prodiguer ses trésors et son sang avaient une âme à satisfaire, des douleurs à guérir, une fierté à ménager, des droits à garantir Avec un orgueil indifférent, ils ont vu tous leurs alliés se ruer dans l’absolutisme, souriant quelquefois de leurs craintes, prenant en pitié leurs faiblesses, mais lents à les éclairer et à les retenir, et satisfaits de ne pas avoir les mêmes dangers à conjurer par les mêmes fautes. Que dis-je? on aurait cru par momens qu’une triste émulation les entraînait dans la même carrière, et qu’à force d’admirer les déclamations de Burke contre les révolutions, à force de frayer sur le continent avec les ministres des monarchies absolues, ils avaient contracté quelque chose de leurs préjugés et de leurs passions. Lord Castlereagh avait jusque dans le parlement des souvenirs du congrès de Vienne, et quelquefois à l’intérieur la politique répressive de lord Sidmouth fit tomber l’Angleterre au niveau des gouvernemens du continent.

Ces fautes vinrent en aide à l’opposition libérale. Elle en avait grand besoin. Elle avait en quelque sorte été battue avec nous dans les guerres de 1814 et de 1815. La victoire avait donné au ministère un capital de popularité qui semblait inépuisable; il prenait des airs de vainqueur même avec la constitution de son pays. Depuis 1792, la guerre avait suspendu les effets de cet esprit de réforme et d’amendement dont jusque-là les Burke et les Pitt avaient eux-mêmes donné l’exemple. Il semble que le devoir de leurs successeurs aurait été de reprendre la suite interrompue de leurs travaux, et de récompenser la nation de ses efforts pendant la guerre par les améliorations de la paix; mais les Anglais avaient-ils donc désappris dans la fréquentation des cours de l’Europe cette politique qui est aujourd’hui unanimement la leur? Du moins fut-ce l’opposition seule qui, prenant en main la cause de tous les dissidens, de tous les non-privilégiés, proposa successivement toutes les réformes que conseillaient les lumières du siècle et les progrès de la philosophie politique. Sur un seul point, la continuation de l’impôt sur le revenu, taxe extraordinaire qui avait toujours dû cesser avec la guerre, elle fut victorieuse, et l’on crut en France, je m’en souviens, que ce vote présageait un changement de gouvernement. Il n’en fut rien. Le ministère persista dans un système de