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changement philosophique d’idées: il n’a pas même cessé de prévoir les inconvéniens et les dangers de la réforme qui allait s’accomplir; mais à la refuser, à l’ajourner, les inconvéniens et les dangers étaient plus grands encore. Distinguer cela avec certitude et se conduire en conséquence, c’est là proprement la politique. C’est ce que surent faire Wellington et Peel, quoique deux des trois pouvoirs fussent contre eux, que l’opinion populaire fût contre eux, que la portion la plus énergique de leur parti menaçât de les abandonner, tandis que le sentiment auquel ils se ralliaient n’avait pour lui qu’une élite d’hommes éclairés et une masse de mécontens qu’ils n’étaient pas sûrs de regagner. Des associations séditieuses semblaient discréditer les concessions qu’elles appuyaient de leurs clameurs, car c’est une observation de sir George Lewis que l’émancipation a été, pour ainsi dire, emportée de force par les associations catholiques, la réforme parlementaire par les unions politiques, l’abrogation des lois sur les grains par la ligue anti-corn-law. Mais ni Wellington, ni Peel ne se sont en 1829 inquiétés de paraître céder à la menace. Le duc de fer (the iron duke) n’avait point de scrupules à reculer devant le danger de l’état, et tous deux savaient que la prudence qui transige avec la nécessité prouve souvent plus de fermeté d’esprit que l’entêtement inébranlable. C’est là la leçon que ces nobles personnages étaient destinés à donner aux conservateurs de tous les pays.

Nous n’en jugions pas tout à fait ainsi en France au milieu des événemens. Les ombrages du patriotisme nous rendaient difficilement justes pour lord Wellington, et peu après la loi d’émancipation le roi Charles X formait un ministère auquel le prince de Polignac a attaché son nom. Le roi George IV s’était montré fort royaliste en 1814; la restauration s’était faite en 1815 sous les auspices de Wellington. M. de Polignac, qui venait de quitter l’ambassade de Londres, prétendait aimer l’Angleterre, croyait avoir étudié ses institutions, et passait pour être recommandé par la bienveillance de ses ministres. Un point plus sérieux, c’est que l’intérêt que la France portait aux Grecs l’avait rapprochée de la Russie. M. de La Féronnays, qui, lui, avait été ambassadeur à Saint-Pétersbourg, inclinait naturellement de ce côté la politique française, et l’empereur Nicolas, dans sa querelle avec la Turquie, où ne l’avaient suivi ni l’Autriche ni l’Angleterre, avait apprécié assez haut le concours moral de la France pour lui faire espérer, en cas de guerre générale, un dédommagement territorial. Ce fut toujours le rôle de ce prince de donner en sens divers des espérances et de n’en réaliser aucune; mais c’était assez pour dire que le ministère Martignac représentait la politique russe, et le ministère Polignac la politique