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voyageurs l’affirment, et d’après Tocqueville c’est la foi qui y est le fondement et le contre-poids de la liberté illimitée. On est assez disposé à mesurer la force des sentimens aux sacrifices d’argent qu’ils font faire à ce compte, les chiffres viendraient éloquemment confirmer les jugemens des voyageurs. En effet, on estime que les contributions volontaires des fidèles pour le salaire des pasteurs monte à 130 millions, c’est-à-dire à trois fois plus que le budget des cultes en France. On porte la valeur totale des 48,000 temples existans à 600 millions, et l’on bâtit annuellement 1,200 églises qui coûtent de 40 à 50 millions. Ajoutez encore 40 millions pour œuvres pies de toute nature, et l’on arrive à un total de plus de 210 millions, ou 7 francs par tête, consacrés librement aux intérêts du culte. Nulle part ailleurs, pas même en Angleterre; on n’arrive à de semblables résultats. Ainsi donc la séparation complète de l’église et de l’état et la sécularisation radicale de l’école, loin de nuire à la religion, lui donnent au contraire une force nouvelle, parce qu’elles l’associent au développement spontané de la conscience individuelle au sein de la liberté absolue.

Dans tous les états de l’Union, l’enseignement est maintenant entièrement gratuit. Il y a quelques années, une certaine rétribution (fees) était encore exigée. On prétendait alors en Amérique, comme en Angleterre et ailleurs, que la gratuité diminuait chez les parens l’intérêt qu’ils pouvaient porter à l’instruction de leurs enfans; mais plus tard une opinion. différente prévalut. En admettant cette observation comme juste en certains cas, on se persuada que pour les familles pauvres la rétribution était un obstacle sérieux, et qu’il fallait l’abolir, si on voulait attirer tous les enfans à l’école et fonder. une éducation vraiment nationale. En 1849, la législature de New-York décida qu’à l’avenir ses écoles populaires seraient gratuites, et elle établit le système des free schools. La loi, soumise trois fois de suite à la sanction de tous les électeurs, fut par trois fois confirmée à une énorme majorité. Depuis lors, l’exemple de New-York a été suivi partout. Cette distinction regrettable entre les écoles gratuites, fréquentées par les pauvres, et les écoles payantes, fréquentées par les riches, a maintenant tout à fait disparu, et l’on s’en félicite. Quand l’état social est démocratique, il faut supprimer tout ce qui de la part de l’état peut établir des distinctions entre les diverses classes. En les réunissant surtout pendant la jeunesse, on prévient chez les uns l’envie, chez les autres le dédain; il s’établit une certaine égalité de mœurs et une communauté de vues qui forment une garantie d’ordre pour l’avenir. Les documens soumis aux législatures des divers états vantent à l’envi les bienfaits de la gratuité absolue. Je trouve dans l’un des rap- -