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mais peut-être Victor Hugo ne s’est montré plus jeune, plus riche de sève, animé d’une volonté d’artiste plus énergique et plus puissante. Nos lecteurs connaissent le fier exorde de cette symphonie pastorale, ce cheval des inspirations lyriques au mors duquel se pend le poète comme un cavalier que Michel-Ange aurait sculpté. Victor Hugo mène bien au vert ce Pégase du délire poétique. Quels sons, quels parfums, quels caprices, quelles fantaisies dans ces heures données à la nature et aux émotions d’amour ! Nous ne citerons que deux pièces, les Étoiles filantes, ravissant nocturne, andante suave et magnifique qui est comme le point culminant de la symphonie, et le chant hardi, agreste, plein de mâle bonhomie, que M. Hugo a nommé le Chêne du Parc détruit. Mais le poète ne laisse point au pâturage son terrible cheval. Dans l’ode superbe adressée au cheval à la fin du volume, le poète renvoie le monstre à la lutte, à l’abîme, à l’idéal. C’est là que M. Hugo trouve des accens qui n’appartiennent qu’à lui ; c’est la véritable fureur poétique dans le sens antique et grandiose du mot ; on ne peut entendre sans tressaillir cette voix de titan. On est fier, en vérité, des miracles que M. Hugo fait accomplir à notre langue poétique, et on voudrait le remercier, comme d’un service rendu à la patrie, des grandes et nobles choses qu’il envoie à nos âmes avec cet élan héroïque et sous cette forme incomparable. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES.

Mme ÉLISABETH d’APRÈS SA CORRESPONDANCE.

Si la plupart des natures sont, comme le dit Montaigne, « ondoyantes et diverses, » il existe en revanche des caractères tout d’une pièce qui frappent l’esprit par leur harmonieuse unité : telle fut la sœur de Louis XVI, Mme Élisabeth, dont les correspondances récemment publiées ont fait connaître la vie et l’âme tout entière. L’Évangile, la Vie des Saints, l’Imitation de Jésus-Christ, sont le pain quotidien de cette âme essentiellement chrétienne et catholique. Persuadée que hors de l’église et de la royauté légitime il ne peut y avoir de salut ni dans le temps ni dans l’éternité, elle regarde la révolution comme une suite de sacrilèges et de blasphèmes. C’est à la religion qu’elle subordonne toutes ses idées, tous ses jugemens. Elle se sent le courage de tout supporter, excepté les persécutions contre la foi, et, plutôt que d’en être témoin, elle demande au ciel la grâce de la retirer de ce monde. Au moment de la mort de Mirabeau, n’écrit-elle point que « les aristocrates le regrettent beaucoup, » mais que pour elle, « quoique très aristocrate, » elle ne peut s’empêcher de regarder cette mort comme un trait de la Providence ! « Je ne crois pas, ajoute-t-elle, que ce soit par des gens sans principes et sans mœurs que Dieu veuille nous sauver. » Royaliste et réactionnaire dans l’âme, elle considère comme le plus grand des maux l’absence d’une religion d’état. Lorsque