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suspect de n’être pas aimé des Français ; qu’à cela ne tînt, il vint à la bonne franquette chercher son portefeuille à Paris. Il nous semble le voir encore entrer dans le salon de notre ministre des affaires étrangères, svelte, léger, avec son habit bleu à boutons d’or finement ajusté : il avait gardé ce sautillement sur la pointe du pied qui était une des grâces de l’ancien dandysme ; l’âge avait à peine jeté un œil de poudre sur ses cheveux bruns ; le visage éclairé d’un spirituel sourire, il échangeait avec M. Guizot un serrement de main cordial que celui-ci ne dut guère songer à lui rendre lorsqu’un an après une révolution l’envoyait à Londres. Cette révolution et ses suites ont montré si la politique de lord Palmerston a été prévoyante. Tout avant cette époque tendait en Europe au progrès des institutions libérales ; lord Palmerston laisse en mourant une Europe livrée aux préoccupations annexionistes et aux ambitions territoriales.

La tâche de ses successeurs sera difficile assurément. Le ministère actuel, avec lord Russell à sa tête, reste tel qu’il était : il n’y a, comme l’a dit naïvement un journal, que lord Palmerston de moins. Ce simple moins est un profond changement de situation. La trêve des partis, des ambitions d’idées et des émulations personnelles est terminée. Sans doute, en l’absence du parlement et d’une chambre des communes récemment élue et qui n’a pu faire connaître encore son esprit et ses allures, il fallait conserver ce qui était en donnant à lord Russell le poste de premier, en confiant les affaires étrangères à lord Clarendon et en investissant M. Gladstone de la direction de la chambre des communes. Le premier trait de la situation nouvelle est l’essor que va prendre enfin M. Gladstone. L’éloquent chancelier de l’échiquier cesse d’être un ministre attaché à une spécialité ; il devient l’organe général du ministère au sein d’une chambre où se concentre le gouvernement du pays. Il ne manque à M. Gladstone que le nom de premier ministre, il en a le véritable pouvoir. L’avenir des questions intérieures en Angleterre va dépendre de l’attitude de M. Gladstone et du degré d’habileté qu’il montrera dans le maniement de la chambre des communes. Aussi est-ce vers ce merveilleux orateur que se tournent en ce moment toutes les espérances et toutes les craintes. M. Gladstone n’a peut-être pas encore de parti parlementaire. Les tories le signalent aux défiances des conservateurs comme un enthousiaste épris des innovations les plus dangereuses. Les vieux whigs ne redoutent pas moins ses velléités de réforme électorale, et ils ne sont guère capables de ressentir une grande tendresse pour un homme de ce talent qui n’est point sorti de leur giron. Des esprits impartiaux ont regretté que M. Gladstone ait perdu le siège d’Oxford et ait été obligé de solliciter le mandat d’un corps électoral nombreux et démocratique comme celui du Lancashire. La représentation d’Oxford ne lie point à un credo politique trop étroit : c’est surtout un grand honneur universitaire qui laisse à celui qui en est l’objet une large liberté intellectuelle ; ces conservateurs craignent qu’associé à un autre corps électoral, M. Gladstone ne soit obligé de souscrire à des engage-