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1859 dans l’appréhension des complications italiennes, il faut un tel homme à l’Angleterre, qui au dedans ne compromette rien par des mouvemens en avant ou en arrière, qui au dehors serve de paravent à sa nation et lui compose une attitude. Cet homme de la halte intérieure et de l’alerte extérieure, il est là, dispos encore malgré son grand âge, vif, souriant, affable, n’exigeant rien et prêt à tout, merveilleusement préparé pour son rôle, the right man in the right place, l’homme prédestiné à exercer avec popularité la dictature de l’immobilité satisfaite. Tous les regards le désignent, toutes les voix l’appellent : c’est lord Palmerston, Ainsi s’accomplit entre l’Angleterre et son premier ministre cette union sans exemple qui excite l’étonnement et qui est peut-être digne de toucher la sympathie du monde. Le philosophe, l’historien, trouveront sans doute que l’Angleterre a été plus grande à d’autres époques, sous la conduite d’hommes d’état d’une autre trempe ; nous croyons cependant que la nation anglaise reportera longtemps ses regards avec un affectueux regret vers les six années d’activité prospère, de tranquille contentement qu’elle a passées sous le dernier ministère de lord Palmerston. Nous croyons que la politique extérieure pratiquée par cet homme d’état vis-à-vis de l’Europe laissera sur le continent un souvenir moins heureux. En dépit de sa belle déclaration de 1829, lord Palmerston a médiocrement servi, s’il l’a servie, la cause libérale européenne. Redisons-le : ce n’est ni le moment ni le lieu de juger une politique qui a été mêlée depuis trente-cinq ans à tous les événemens contemporains. On peut seulement indiquer en termes généraux les fautes, les lacunes, les contradictions, qui ont en définitive frappé cette politique de stérilité. Il est impossible, et à nos yeux l’exemple de lord Palmerston en est la preuve, de faire quelque chose de grand et d’utile dans nos affaires collectives d’Europe, si l’on n’a pas dans l’âme une certaine élévation qui touche à la philosophie, si on ne se lie pas fidèlement soi-même à l’observation de certains principes. Lord Palmerston, dans sa politique étrangère, n’a pas eu de principes, ou, s’il en a mis parfois en avant, il y a manqué avec une funeste étourderie. On comprend une direction de la politique anglaise qui pourrait coïncider avec l’intérêt général de l’Europe. L’Angleterre n’a aucun avantage territorial à obtenir en Europe ; elle est donc naturellement contraire aux combinaisons qui peuvent changer les arrangemens territoriaux existans. La force extérieure de l’Angleterre ne peut être qu’une force de prestige, une force morale, celle que lui donnent aux yeux du monde l’exercice et les riches fruits de ses libertés intérieures ; son intérêt est donc, nous ne dirons pas d’encourager, mais de respecter et de ménager au sein des états européens les tendances qui placent l’intérêt du développement des libertés intérieures au-dessus de l’intérêt des extensions de territoires. Tout gouvernement autocratique et absolutiste a nécessairement une politique étrangère annexioniste ; tout gouvernement fondé sur l’exercice des libertés intérieures est nécessairement indifférent aux extensions matérielles, et cherche dans les influences morales les élé-