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quine et avortée. Malheureusement les études bibliques furent le côté le plus faible de cette savante compagnie. Les essais de Boivin l’aîné, de Fourmont l’aîné, de l’abbé Banier, qui se lisent dans les premiers volumes des Mémoires, sont erronés ou même charlatanesques. Peu à peu cependant le niveau des études s’éleva. Trois hommes éminens, qui furent la gloire la plus solide de cette Académie, Fréret, Burigny, l’abbé Barthélemy, touchèrent aux antiquités hébraïques d’une façon indirecte il est vrai, mais suffisante pour montrer ce qu’ils auraient pu faire, s’ils avaient été libres ou portés de ce côté par l’esprit du temps. L’abbé Barthélemy, en donnant définitivement la clé de l’écriture et de la langue phéniciennes, fournit à la philologie hébraïque un de ses secours les plus efficaces. Fréret et Burigny sont déjà des savans laïques complets, se servant des textes sacrés comme de tous les autres textes anciens, leur appliquant les mêmes règles de critique, ne cherchant ni à combattre la religion ni à la défendre. Malheureusement on était sous le joug d’un pouvoir capricieux, qui n’était tolérant que par négligence et oubli. Tout ce qui tenait de près ou de loin à la religion était régi par un code terrible, exposant à la prison et à la mort l’honnête homme qui osait dire le résultat de ses recherches. Croirait-on, si un document positif ne nous l’apprenait[1], que Montfaucon eut à solliciter ses amis de Rome pour mettre l’inoffensif dom Calmet à l’abri des poursuites de l’inquisition ?

Mais la France est un pays de ressources infinies. En presque toute chose, elle dit le premier mot, et souvent aussi elle dit le dernier. Par un hasard singulier, la France, qui avait eu la gloire de fonder ces études, qui ensuite sembla prendre à tâche de les détruire et de les fausser, eut encore l’honneur d’une tentative isolée, qu’on ne peut placer bien haut, puisqu’elle ne se rattachait pas à une méthode suivie, mais où l’auteur fit preuve d’un rare esprit d’observation. Je veux parler de l’essai que Jean Astruc, médecin et physiologiste habile de récole de Montpellier, publia en 1753 sous ce titre : Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s’est servi pour composer le livre de la Genèse[2]. Astruc n’était pas un hébraïsant ; c’était un esprit curieux, qui avait lu la Genèse avec soin. Il remarqua les sutures et le mélange d’élémens hétérogènes qui frappe à chaque page en ce livre le lecteur attentif. Il essaya de montrer que Moïse, en composant la Genèse, n’a fait que partager par morceaux les mémoires anciens qu’il avait entre les mains et les mettre bout à bout. Il prouva sa thèse par

  1. Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon avec l’Italie, publiée par Valery, t. III, p. 206.
  2. L’ouvrage porte l’indication de Bruxelles ; mais il fut imprimé à Paris. Il en a paru une seconde édition, in-12, — Bruxelles (Paris), 1755.