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lement, et que la formation d’une grande union coloniale est la garantie nécessaire de son autonomie. Il comprend que sans cet appui il sera infailliblement dévoré par le minotaure américain ou réduit à l’insignifiance. L’union nouvelle, qui le fait disparaître comme nation, le protège comme société indépendante, et c’est de toutes les combinaisons la plus favorable à ses intérêts.

Quant aux gens du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’île du Prince-Édouard, de Terre-Neuve, ils doivent sentir l’avantage qu’ils auraient à sortir de leur isolement. Leur situation géographique leur assure le monopole du trafic maritime du nouveau peuple le jour où, comme on l’espère, l’effort concerté de toutes les provinces aurait détourné de leur côté une partie du commerce qu’attirent aujourd’hui les grandes voies de communication et les grands marchés cosmopolites des États-Unis. On les dit pourtant mal disposés à tenter l’aventure et résolus d’avance à mettre à leur concours de lourdes conditions. De leur côté, les provinces hautes ont quelque répugnance à s’unir à ces lointaines colonies de l’est, que leurs relations attachent à la Nouvelle-Angleterre de la même manière que le Haut-Canada aux états de l’ouest. Le parti américain, bien que fort affaibli, n’est donc pas désarmé, et quand ses adversaires répondent que la loi d’attraction peut bien agir en sens inverse et absorber le Maine, le New-Hampshire et le Vermont dans la confédération nouvelle, ils oublient que les gros poissons ont souvent mangé les petits, mais qu’il n’est jamais arrivé que les petits aient mangé les gros. Néanmoins tout le monde a bon espoir. Qu’il procède soit d’une fraternité sincère, soit d’une haine et d’une jalousie communes, le lien moral sans lequel il n’y a pas de peuple, le sentiment national paraît formé. On croit que les résistances s’évanouiront d’une part devant ce sentiment nouveau, de l’autre devant la sage politique de l’Angleterre, bien décidée à relâcher autant qu’elles le voudront les liens qui rattachent ses colonies à son empire[1].

Québec est une vieille ville perchée sur un rocher, au bord du Saint-Laurent, entourée de vieilles fortifications délabrées. La ville basse s’étend sur le rivage, au pied de la colline, et comprend les quartiers commerçans et populaires. Le quartier aristocratique est dans la ville haute. On y monte par une rampe tortueuse, escarpée, qui passe sous une poterne noire. Au sommet, dans un jardin qui fait face à la rivière, se dresse un obélisque où le patriotisme canadien a inscrit côte à côte les deux noms ennemis de Wolfe et de

  1. On sait que ces espérances ont été déçues: le projet d’union a échoué par l’opposition persistante de ces provinces maritimes qui dès lors semblaient froidement l’accueillir. Aussi le parti américain a-t-il relevé la tête et menace-t-il sérieusement l’empire de la métropole.