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Canada, en souscrivant à l’union nouvelle, renonce à ses traditions, et quiconque a seulement traversé ce pays sait avec quel amour on les y conserve. Tandis que la France d’Europe faisait bon marché du passé et se lançait dans toutes les voies que lui ouvrait l’esprit révolutionnaire, ce rejeton planté au-delà des mers gardait l’ancien esprit monarchique de la métropole, et nourrissait, sous une domination étrangère, toutes les vieilles coutumes qui disparaissaient chez nous son isolement même le tenait à l’écart du mouvement révolutionnaire il grandissait à sa façon, sans rien renier du passé, et tout ce que la domination anglaise a laissé subsister de français appartient plus à l’ancien régime qu’à la France moderne. On comprend que cette vieille société se plie mal au changement et se résigne avec peine à l’assimilation anglaise qui la menace.

Elle s’y résigne pourtant, et à l’exception d’une coterie qui veut la ruine de tout gouvernement protégé par l’Angleterre, fût-il composé de Français, la reine n’a pas de sujets plus fidèles que les Bas-Canadiens. Presque toutes les familles de l’aristocratie de Québec ont contracté des alliances avec les Anglais, et parlent plus souvent la langue officielle que la langue natale. Le gouvernement en est plein. Deux hommes qui m’ont accueilli avec une grande bonté, 1Z. Duval, '‘chief-justice'‘, et M. Tessier, président de la chambre haute du parlement canadien, tout en gardant au fond du cœur un vif sentiment d’affection pour le nom français et pour la petite nationalité de leurs pères, m’ont paru les partisans dévoués de la couronne britannique. J’en dis autant de M. Taché, de M. Cartier, les deux ministres dirigeans du cabinet canadien de M. Belleau, président de la chambre des représentans, et de bien d’autres. M. Taché, l’insurgé de 1837, le compagnon d’armes de Papineau, est aujourd’hui premier ministre et anobli par la reine sous le nom de sir Étienne Taché. Si j’en dois croire mes oreilles, M. Cartier, ministre de la justice, qui est, avec M. Mac-Donald, l’homme actif du cabinet, parle un anglais plus pur que son français bas-normand. Son '‘alter ego'‘ politique est M. Brown, qui fut toujours le représentant des intérêts du Haut-Canada. En un mot, l’union est intime entre les hommes éclairés des deux provinces ils comprennent qu’il faut faire disparaître les distinctions de peuples avec les hostilités de races ; mais s’il y a une province que le système américain attire et menace d’absorber, ce n’est point l’est avec ses institutions locales, ses vestiges d’aristocratie et son nationalisme obstiné, c’est l’ouest, province moderne, peuplée d’habitans nouveaux et formée sur le modèle de ses voisins des États-Unis. Le Bas-Canada, tout en maintenant son droit à l’indépendance locale et à la liberté politique, comprend qu’il ne peut rester dans l’iso-