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informes débris tout un monde organique enfoui, disparu dans les profondeurs de la terre et dans la nuit des temps?

Ce sont là des divisions trop artificielles, trop arbitraires, introduites par Goethe et Geoffroy Saint-Hilaire dans l’histoire des méthodes et des sciences de la nature. La vérité, c’est qu’il y a, là comme ailleurs, de grands et de petits esprits ceux-ci, analystes minutieux, « observateurs pointilleux, » toujours préoccupés du détail, le partageant, quand ils l’ont saisi, en mille détails nouveaux, divisant et subdivisant jusqu’à réduire chaque objet en poussière, accablés de la masse des faits et succombant sous le poids des nomenclatures, incapables de s’élever au point de vue synthétique de l’observation; ceux-là que la multitude et la diversité des phénomènes ne dissipent et ne distraient pas, qui portent sans fléchir le poids du détail et embrassent la réalité dans ses harmonies en même temps qu’ils en saisissent l’infinie complexité. Telle est la nature, identique au fond, de tous les grands observateurs, avec des nuances et des variétés de tempérament intellectuel. Il est impossible d’être un Aristote, un Linné, un Cuvier, sans avoir, non pas à quelque degré, mais au plus haut degré possible, le sens synthétique ou comparatif, le sens de l’ensemble et des rapports des êtres, si bien décrit d’ailleurs par Goethe et avec une si admirable précision, mais trop soigneusement réservé par lui aux naturalistes de sa famille ou de son école.

Pour revenir au grand débat qui a été le point de départ de ces réflexions, Cuvier n’a jamais nié l’analogie des êtres et des parties dont se compose l’organisme. En quoi donc consiste la différence qui le sépare de son rival, et qui a fini par mettre entre eux et leurs écoles un abîme? En cela d’abord que les analogies ne recouvrent pas à ses yeux les variétés irréductibles, fixes, que les ressemblances ne lui cachent pas les différences, que la Théorie des analogues ne doit pas, à son avis, abolir la notion de l’espèce, en cela aussi que Cuvier ne se sert pas du même critère que Geoffroy Saint-Hilaire pour déterminer les analogues. Il les détermine par la fonction, tandis que Saint-Hilaire emploie pour cela la liaison anatomique entre un organe et un autre, le principe des connexions. Ainsi l’un maintient énergiquement la notion de l’espèce et la considération des fonctions; l’autre tend à supprimer l’espèce et combat de toutes ses forces l’idée de la fonction, comme un reste de la théorie superstitieuse des causes finales. « Je ne connais pas, répète à chaque instant Geoffroy Saint-Hilaire, d’animal qui doive jouer un rôle dans la nature. C’est faire engendrer la cause par l’effet que de parler de l’usage des parties. Il faut considérer uniquement la constitution de l’animal, la disposition