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serait l’empereur à un attentat contre son sang, son beau-frère et son allié. Joseph II parcourut la lettre que je lui apportais avec une froideur qui me consterna; il se mit à épiloguer, révoqua en doute la fidélité des rapports, qu’il traita d’exagérés. — Pourquoi se sont-ils laissé insulter impunément? s’écriait-il. Pourquoi, depuis l’ouverture de l’assemblée, laissent-ils usurper tous les pouvoirs? — Quelque temps après, il me communiqua sa réponse, qui était dans le style d’un référendaire de la diète. Léopold, frère de Joseph et alors grand-duc de Toscane, avait accueilli avec d’autres sentimens la même nouvelle. « Il est inconcevable comment le roi ne s’est pas fait plutôt tuer que de céder, écrivait-il à sa sœur Marie-Christine. Il faut avoir le sang d’eau claire, les nerfs d’étoupe et l’âme de coton![1] » Devenu lui-même empereur en février 1790, il se montra d’abord tout prêt à seconder énergiquement Louis XVI et Marie-Antoinette on l’a vu contenir la folle ardeur des princes avant la tentative de Varennes; il offrait hardiment, au moment où il croyait que cette première tentative de la cour avait réussi, des secours d’argent et d’hommes; lorsqu’il apprit l’arrestation du roi et de la reine, il écrivit à Marie-Christine «Je les vengerai exemplairement.» Léopold toutefois avait l’intelligence des dangers que présentait la contre-révolution; il était souverain prudent, dévoué à ses peuples avant de l’être envers sa propre famille; sa guerre contre les Turcs, qui allait durer jusqu’en août 1791, les avait épuisés. Prêt à secourir Louis XVI alors que Louis XVI s’aidait lui-même, il s’indigna de l’étourderie des princes, prit en défiance leur chevaleresque allié Gustave III, et ne répondit plus que par des ajournemens sans fin aux instances dont le roi de Suède et le comte d’Artois l’obsédaient. En vain l’honnête et fidèle Fersen, sans se laisser abattre par l’échec de Varennes, sans distinguer entre les deux partis du roi et des princes, cherchant uniquement à servir la famille royale, venait proposer des combinaisons diverses; en vain le comte d’Artois se rendait lui-même à Vienne, pour représenter que le temps pressait, qu’il fallait mettre Louis XVI en état de repousser la constitution nouvelle et empêcher à tout prix une nouvelle législature[2] : Léopold déclarait qu’à son gré une décIa-

  1. Archives de l’archiduc Albert d’Autriche. Voyez le recueil de M. Feuillet de Conches, tome III, page 197.
  2. J’ai sous les yeux, entre un grand nombre de papiers d’état qui montrent combien d’objections fort valables l’empereur invoquait, un intéressant résumé, dressé par Fersen pour Gustave III, et conservé aujourd’hui aux archives du ministère des affaires étrangères de Stockholm sous ce titre Mémoire des princes français à l’empereur, intitulé Points à fixer, et réponses de sa majesté impériale intitulées Communications verbales. On en trouvera toute la substance dans notre récit.