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européenne. Toute son infatuation du moment se montre dans une curieuse lettre qu’il adressa le lendemain du jour où il avait expédié le précédent mémoire au comte de Stedingk, devenu son négociateur à Saint-Pétersbourg.


« Quoique l’intérêt que je prends à la famille royale de France soit très grand, celui que je prends à la cause publique, à l’intérêt particulier de la Suède et à la cause de tous les rois est plus grand encore. Tout cela tient au rétablissement de la monarchie française, et il peut être égal si c’est Louis XVI, ou Louis XVII, ou Charles X qui occupe ce trône, pourvu qu’il soit relevé, pourvu que le monstre du Manége[1] soit terrassé, et que les principes destructeurs de toute autorité soient détruits avec cette infâme assemblée et le repaire infâme où elle a été créée. Il faut empêcher qu’une nouvelle législature ne confirme, au nom de la nation, une partie des attentats déjà décrétés. Le seul remède à tout cela, c’est le fer et le canon. Il se pourrait qu’à ce moment le roi et la reine fussent en danger; mais ce danger n’équivaut pas à celui de toutes les têtes couronnées, que la révolution française menace. Je suis convaincu d’ailleurs que ce danger pour leurs majestés très chrétiennes n’existe pas, puisque, au moment de l’entrée des troupes étrangères, les factieux seront intéressés à conserver des otages qui pourraient leur servir de rançon. Leur intérêt n’est pas de détruire le roi et le dauphin, car alors Monsieur, qui est libre, serait roi…

« Soyez en garde contre tous les Français qui sont à Pétersbourg. Il y en a de très zélés pour la cause royale, mais qui ont une ardeur exagérée. Il y en a d’autres qui sont les émissaires de la propagande et des démocrates. Ils ne peuvent être dangereux pour vous ni pour l’impératrice; mais il y a une troisième classe, qui se donne le nom de monarchiens, qui veulent bien le gouvernement du roi, mais prétendent établir une espèce de gouvernement métaphysique impossible à soutenir en France, et dont l’établissement (s’il venait à se consolider jamais) serait un exemple encore plus dangereux, et servirait à bouleverser tous les trônes. Ceux-là craignent une contre-révolution dont la suite pourrait remettre les choses dans l’ancien état, et par là empêcher leur gouvernement chimérique. C’est d’eux et de leurs conseils qu’il faut vous garder, car sous le masque de très bons sentimens ils cachent les vues les plus funestes pour le bien général de la restauration de la monarchie, qui ne peut exister sans le rétablissement entier de l’autorité royale. »


Ce n’était malheureusement pas Gustave III lui seul qu’une exaltation imprudente inspirait si mal. Le parti des princes, avec son plan de régence qui révoltait la cour, ne professait pas une autre doctrine M. de Staël nous l’a fort bien marqué. Eux aussi, ils disaient « Peu importe que le roi de France s’appelle désormais Louis XVII ou bien Charles X; périssent Louis XVI et Marie-Antoinette plutôt que le principe de l’ancien régime et de la monarchie

  1. L’assemblée constituante.