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de soldats. Ceux qui étaient restés ou qui se réfugièrent dans la forteresse bombardèrent la ville, mais sans résultat. L’iman qui avait amené les Turcs fut déposé et remplacé par Al-Mansour. qui montait sur le trône pour la troisième fois. Toufieh-Pacha, qui avait été blessé dans la bagarre, obtint de se retirer avec le reste de ses troupes moyennant une rançon de 20,000 thalaris. Une nouvelle révolution renversa bientôt Al-Mansour. Ghaleb, fils du dernier iman, se proclama lui-même en 1850; mais les habitans refusèrent de le reconnaître, et le pays tomba dans la plus grande anarchie, si bien que les marchands, pour maintenir un peu d’ordre, se décidèrent à nommer un gouverneur parmi eux. Cette situation se prolongea environ huit ans. M. Stern, missionnaire biblique, qui visita Saana en 1856, en fait le plus triste tableau. Il n’y restait plus que trois marchands étrangers, dont deux furent assassinés pendant son séjour; le troisième, un vieillard, était sur le point d’abjurer sa religion dans l’espoir de sauver ses jours. Vers 1858, l’iman Ghaleb fut rappelé. C’est avec douleur, pourquoi ne le dirions-nous pas? que nous voyons la décadence d’un état qui, il n’y a pas longtemps encore, avait rendu puissante, prospère, heureuse cette partie de l’Arabie. Ne refusons pas un regret à cette grandeur qui agonise à quelques journées du sol bouleversé où le savant cherche, sur quelques inscriptions à demi effacées, les traces. de la reine de Saba dans les ruines de Mareb.


V. — LA POPULATION.
Mœurs et caractères. — Condition des femmes. — Les Banians. — Les Hadramauts. — Invasion du sang noir.


Les événemens qui viennent d’être racontés ont pu donner une idée assez précise de l’état moral de la population dans les diverses contrées de la péninsule arabique. On aura remarqué que les Arabes, surtout ceux des tribus, ont un goût inné pour les combats, une grande mobilité d’esprit et un amour immodéré de la liberté, même désordonnée. Ils y joignent un certain sentiment de l’honneur entendu à leur manière. Ils ont un orgueil et une sorte de pudeur de race. Ils aiment à citer les qualités qui, à leurs yeux, distinguent les Arabes des autres peuples. « Ne fuis pas la mort, s’écrie Antar, le héros légendaire, ne te déshonore pas aux yeux des nobles Arabes » Dans le même poème d’Antar, un autre chef dit « Avant tout, les Arabes aiment l’équité. » Du reste, malgré cette sorte de solidarité morale, il n’y a dans la péninsule aucun germe, aucune aspiration même d’unité politique. Ce qui domine l’idée toujours assez vague