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buée au roi. Le récit est plus légendaire qu’historique. On ne dit point avec quels négociateurs attitrés Léopold eut à discuter une résolution semblable : les hommes qui étaient alors au pouvoir à Bruxelles n’ont point eu connaissance d’une telle transaction ; mais, si la forme et les détails de la légende sont inexacts, la pensée qui l’a inspirée est juste au fond. L’instinct populaire ne s’est point trompé sur l’honnêteté intellectuelle et la vraie fierté du roi lorsqu’il a cru qu’il était de ces hommes qui pensent qu’à notre époque l’acquisition et la conservation d’un trône ne valent point un effort de violence sanguinaire et de compression despotique.

Les heureux effets de cette sage conduite du roi Léopold se voient aujourd’hui dans le beau spectacle que donne la nation belge durant l’interrègne. Il y a des gens qui dédaignent la Belgique parce qu’elle n’est point ancienne comme état indépendant, parce qu’ils voient en elle l’œuvre de traités récens et non le travail des siècles, parce qu’elle est petite. Il y a des amateurs de symétrie territoriale qui voudraient, supprimant tout ce qui constitue la vie morale du peuple belge, annexer ses provinces à la France. Toutes ces critiques et toutes ces convoitises se fondaient sur l’hypothèse que la Belgique ne devait une existence viagère qu’à la grande situation personnelle du roi Léopold, et s’étaient donné rendez-vous à la mort de ce prince. L’événement critique est arrivé, et il se trouve que la Belgique s’affirme par une manifestation qui commande à tous la sympathie et le respect. On n’avait oublié qu’une chose dans les pronostics défavorables au royaume créé par la conférence de Londres, c’est qu’il y a un peuple belge qui a pratiqué la liberté sans relâche pendant trente-cinq ans, et qui proteste contre les menaces frivoles adressées à son indépendance avec l’énergie qu’un peuple puise dans de vieilles traditions nationales et dans l’expérience des institutions libres. Les Belges ne sont point aussi jeunes que le veulent dire les diplomates. Leurs libertés et leurs mœurs politiques sont assises sur le fonds vivace des franchises communales. Leur esprit municipal a survécu à la tyrannie espagnole, et à la veille de 1789 la révolution brabançonne, devançant et excitant la nôtre, répondait aux réformes arbitraires de cet initiateur absolutiste qui s’appelait Joseph II. L’œuvre de 1831 ne fut point seulement une combinaison diplomatique, elle ne fut que la reconnaissance par la diplomatie d’une révolution spontanée et populaire placée d’ailleurs sous la sauvegarde de la révolution française de 1830. Il y a une méprisable petitesse d’esprit à vouloir méconnaître ce qu’il y a eu de grand, de généreux, d’utile à la France dans la constitution de la Belgique. Qu’on ne l’oublie point, on était seulement à seize années de distance de 1815, et ce fut alors qu’on ne se contenta point de dire, mais qu’on écrivit dans les faits et dans le droit public de l’Europe que les traités de 1815, en ce qu’ils avaient de plus hostile à la France, avaient cessé d’exister. Une des œuvres auxquelles tenaient le plus nos ennemis en 1815 était la création du royaume des Pays-Bas, qui unissait contre nous la Belgique à la Hollande et nous mettait en