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monarchie chez les peuples européens aptes à la liberté. Il faut que dans leurs rapports internationaux les peuples européens soient représentés par des souverains héréditaires, parce que des peuples arriérés, qui forment par leur masse et leurs ressources de puissans états, ne sont point propres encore à des institutions plus conformes au génie de la démocratie et de la liberté, et parce qu’il est nécessaire, pour contre-balancer les forces aveugles de ces états, de leur opposer une certaine concentration et une certaine perpétuité de pouvoir. C’est ainsi que dans notre vaste association européenne les plus avancés sont contraints de ralentir le pas pour attendre les retardataires. En de telles circonstances, un homme éclairé des lumières de notre époque, qui est appelé, sous les vieilles dénominations monarchiques, à exercer la souveraineté au nom d’un peuple libre, doit comprendre la distinction qui existe entre sa mission extérieure et sa mission intérieure. La formule d’un bon gouvernement libre à l’intérieur était l’autre jour indiquée avec beaucoup d’esprit à Paris même, dans une réunion d’Américains, par le général Schofield : — le meilleur des gouvernemens à l’intérieur est celui qui se fait le moins sentir. — Là est l’excellence de la forme monarchique que comporte encore l’esprit moderne, la monarchie constitutionnelle. Le bon monarque constitutionnel est celui qui n’abuse point des nécessités de politique extérieure, qui motivent surtout son existence, pour imposer arbitrairement son pouvoir sur la politique intérieure ; c’est celui qui fait le moins sentir à l’intérieur son gouvernement. Voilà, nous le répétons, la notion moderne de la monarchie qu’il faut opposer à l’anachronisme des théories césaristes. Or c’est ce rôle du roi constitutionnel moderne que le roi Léopold a rempli avec une intelligence et une bonne foi parfaites. Il n’a pris l’action pour lui, et encore dans l’intérêt défensif de son pays, qu’à l’extérieur ; à l’intérieur, il a laissé faire son peuple. Il n’a jamais aspiré à imposer aux Belges les caprices de son initiative ; il n’a jamais eu la méchante et niaise insolence de leur donner un maître. Il a laissé ce libre pays se gouverner librement et appliquer en toute sécurité le système représentatif à toutes les branches de son administration ; il n’a mis aucun obstacle à l’organisation et aux émulations naturelles des partis ; il a laissé le pouvoir aux hommes qui s’en sont montrés dignes par leur mérite, manifesté à la grande lumière du jour, et que le vœu de la majorité du pays y appelait. En un mot, sous l’antique pompe du nom de la royauté, il a permis à la Belgique d’être ce qu’elle est naturellement, une jeune république.

Voilà le grand et fécond exemple qui a été donné par le roi Léopold. Jamais il n’a placé son intérêt de dynastie et sa volonté de roi en travers, nous ne disons pas d’un intérêt, mais d’une volonté sincèrement exprimée du peuple belge. Un bruit populaire veut qu’en 1848, sous le coup de la révolution de février, il ait mis en quelque sorte le marché en main à la Belgique et lui ait offert de rendre sa couronne, si elle préférait la république à la monarchie. On cite encore avec éloge cette calme détermination attri-