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nous nommions tout à l’heure : l’inspiration première en est très forte, et la facture en est singulièrement trouble et bizarre. Un vieux chêne qui s’élève au milieu d’un parc détruit raconte au poète qu’autrefois il a assisté à bien des fêtes, qu’il a porté bien des lampions en l’honneur des puissans de la terre, et que la verdure de son feuillage a été bien souvent dénaturée par les couleurs menteuses des flammes de Bengale ; toutes ces pompes ont disparu, et maintenant il s’élève au milieu des ruines et de la solitude, racontant aux ronces et aux broussailles démocratiques qui croissent autour de son tronc, au lierre qui l’embrasse sans craindre la main de l’émondeur, aux loups qui hurlent à ses pieds, insoucieux des gardes-chasses, les merveilles de l’alignement classique et de la discipline monarchique des jardins du temps passé. Cependant il ne regrette rien de toutes ces pompes, sa sauvage nature a retrouvé dans cette solitude toute l’énergie de sa sève ; sa verdure profite mieux de la rosée du matin et du soir depuis qu’elle n’est plus desséchée par les flammes de Bengale, la mousse s’entasse plus épaisse à ses pieds depuis que les promeneurs ne foulent plus les allées autrefois sablées, maintenant envahies par l’herbe, et il lui semble qu’il voit mieux les astres depuis qu’il ne voit plus tant de lampions. Il faut lire cette pièce incroyable, qui, dans son ensemble, présente l’aspect des broussailles du parc désolé, si l’on veut comprendre comment il est possible d’unir des beautés très réelles aux plus étranges folies. Ce chêne parle comme un énergumène inspiré, comme un vieil excentrique qui aurait reçu le don de poésie. Jadis, dans des temps plus calmes, un certain faune de marbre du parc désert de Versailles tint au poète un discours où notre vieille histoire était traitée avec moins de sans-façon et plus de justice.

Vous voyez d’ici la conclusion du livre. M. Hugo cependant n’y arrive pas, et n’y conduit pas d’emblée l’être de raison qu’on peut appeler le héros de son livre. Après avoir retiré son adolescent anonyme des ivresses passagères du plaisir, il lui fait faire une halte au sein de la nature. Cette halte est comme une purification du passé, comme une préparation à l’enseignement plus sévère qu’il lui destine. Il y a là quelques beaux et gracieux tableaux, les Semailles, qui semblent la traduction poétique d’une toile de Breton ou plutôt encore d’un bon Millais, — une Alcôve au soleil couchant, écrit dans son ancienne manière et qui semble un ressouvenir des Feuilles d’automne ; mais la pièce la plus considérable et la plus curieuse de cette partie du recueil est celle que j’ai déjà nommée, l’Église, petite pièce excentrique à laquelle ont l’air d’avoir collaboré Shakspeare, Henri Heine et M. Clairville. Comme dans la pièce d’Heine, où se célèbre l’union d’un scarabée et d’une