Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1006

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus nous attendions vainement le retour du cousin Legoyen. Les affaires qui l’avaient obligé de se rendre à Nantes l’y retenaient plus longtemps que je ne l’aurais voulu, car sa franche cordialité et son expansion naturelle répandaient la vie et le mouvement autour de lui. Nous étions donc seuls à La Ribaudaie, Mme Legoyen, Emma et moi, lorsque cinq ou six jours après notre visite un peu hasardée à La Marsaulaie nous vîmes apparaître à l’entrée du parc deux personnages qui ne pouvaient être autres que M. de Rogariou et Flora. Mme Legoyen manifesta un certain embarras, et sa sœur fit une petite moue qui m’inquiéta.

— Monsieur Desruzis, dit celle-ci, voilà vos amis, si je ne me trompe.

— Voyons ! dit à son tour Mme Legoyen en faisant effort sur elle-même, il faut être poli… Viens, Emma ; nous devons aller au-devant du châtelain de La Marsaulaie…

— Et de son auguste nièce, répliqua Mlle Trégoref ; voilà que M. Albert a déjà pris sa canne et son chapeau de paille pour se porter à la rencontre de l’hidalgo et de la petite Panthère noire…

— Chut ! fit Mme Legoyen ; tu nous as conduits chez eux, ne t’en prends qu’à toi de leur visite.

Nous descendîmes le perron du château. M. de Rogariou et sa nièce étaient encore loin, et cependant il nous semblait que nous ne reconnaissions plus les habitans de La Marsaulaie. A mesure que nous approchions, notre surprise allait croissant, et quand nous ne fûmes plus qu’à vingt pas des deux visiteurs, Mlle Trégoref s’arrêta : — Mais sont-ce bien là les Rogariou ? demanda-t-elle tout bas à sa sœur.

C’est que le châtelain de La Marsaulaie avait complètement abdiqué dans son extérieur tout souvenir de son île lointaine. Sa barbe de Robinson avait disparu ; il n’en restait plus que deux petites moustaches qui faisaient mieux ressortir la blancheur mate de sa peau : d’un coup de rasoir, il s’était rajeuni d’au moins cinq ans. Sa tenue irréprochable lui donnait l’apparence d’un gentilhomme parisien égaré dans le fond de la campagne. Flora portait le pur costume andalou : robe de soie jaune, mantille de dentelle noire ; l’éventail frémissait comme un battement d’aile dans sa petite main finement gantée. L’oncle et la nièce s’avançaient avec gravité ; ils avaient une revanche à prendre. Les paroles gracieuses que leur adressa Mme Legoyen, la surprise que manifestait Mlle Trégoref, son empressement à se montrer affable, prouvèrent aux deux étrangers que l’effet était produit.

La conversation s’engagea d’abord assez péniblement : l’absence de son mari rendait Mme Legoyen un peu timide ; elle craignait