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— Comme elle est blanche !

Pour toute réponse, me penchant vers doña Flora, je lui récitai dans l’oreille, syllabe par syllabe, pour qu’elle les comprît mieux, ces trois vers des Orientales, qui semblaient avoir été écrits pour elle :

Tu n’es ni blanche ni cuivrée,
Mais il semble qu’on t’a dorée
Avec un rayon du soleil.


Ces mots la firent sourire, et, quittant ma main, elle courut s’asseoir auprès de son oncle. Celui-ci avait fait servir une charmante collation, dans laquelle figuraient les fines confitures que l’on prépare avec tant d’art dans les pays tropicaux. Après ce frugal repas, M. de Rogariou nous fit voir les principales pièces de son château, qui gardaient encore leurs tapisseries, leurs meubles sculptés et leurs fauteuils de cuir à clous dorés ; puis il nous promena dans son parc, où l’on comptait par centaines les plus beaux arbres de toutes les essences : il eût suffi de pratiquer çà et là quelques éclaircies pour le transformer en un séjour délicieux. Enfin, après nous avoir fait avec beaucoup de politesse et d’aisance les honneurs de ce logis décrié, où nous ne devions trouver qu’un sauvage, le châtelain de La Marsaulaie nous reconduisit jusqu’aux deux tourelles chargées de lierre entre lesquelles s’ouvrait la voûte béante que nous avions traversée en entrant. Flora nous avait accompagnés, bien qu’elle traînât à ses pieds des babouches indiennes. Je lui adressai souvent la parole dans sa langue natale, et il lui échappait des éclats de rire qui retentissaient sous les grands châtaigniers comme des cris de perruche.

Adios, don Alberto, me dit-elle en me serrant familièrement la main ; puis elle salua les deux dames, qui s’efforçaient de répondre par un sourire, et nous remontâmes en voiture.

— Eh bien ! dit Mme Legoyen à sa sœur, était-ce bien la peine de venir ici, de rendre visite à ce monsieur, pour accepter de lui une politesse qui nous met dans l’obligation de le recevoir à La Ribaudaie, avec mademoiselle sa nièce encore ?…

— Franchement, répondit Emma, je m’attendais à trouver là quelque chose de plus amusant, de tout à fait grotesque. Ce M. de Rogariou est très fier : il se tient toujours sur la défensive, comme si on voulait l’attaquer…

— Tandis que vous vouliez tout simplement rire à ses dépens, répondis-je.

— Ah ! non ; il ne donne pas envie de rire, reprit Emma ; il affecte de grandes manières, il a l’air comme il faut, j’en conviens, mais cette petite créature…