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Nous n’entreprendrons point de parler longuement de Yédo, dont un voyageur a déjà donné dans la Revue de fidèles et pittoresques descriptions[1]. La capitale officielle du Japon se recommande moins d’ailleurs par ses aspects extérieurs que par les détails de sa vie intime. De grands enclos boisés, propriété des bonzeries ou de la noblesse, en séparant entre eux les quartiers populeux, donnent à la ville une physionomie agréable, mais sans cachet particulier ; on dirait une suite de villages échelonnés à courts intervalles dans une campagne verdoyante. Cette dissémination des divers quartiers, jointe à une population évaluée à trois millions d’âmes, donne le secret de l’immense étendue de Yédo. Quand on pénètre dans le quartier officiel, situé sous les murs du palais du taïkoun, on remarque un changement complet dans la physionomie de la ville. Ce quartier, où s’élèvent les palais des daïmios, offre un groupe d’édifices peu élevés, cachés derrière une enceinte dont les murs, avec leurs fenêtres grillées, ont l’apparence de fortifications. De temps à autre, une porte massive en bois laqué, ornée de gros clous et de charnières en bronze, surmontée des armes du daïmio qui habite le palais, donne accès sur la voie. Après le bruit de la ville plébéienne, ce qui frappe le promeneur introduit subitement dans ce quartier, c’est le silence et l’aspect solennel de ses longues rues. En longeant ces interminables enceintes, vous apercevez à peine quelques figures apparaissant curieusement par l’entrebâillement d’une porte ou le grillage d’une fenêtre. De temps à autre passe le cortège d’un daïmio se rendant à l’audience, assis dans son norimon ou palanquin, accompagné de la suite et des insignes exigés par l’étiquette. Quelquefois on rencontre un hatta-motto, en grande tenue de ville, sortant de chez lui à cheval. Deux bétos tiennent les rênes de la monture sur laquelle il est gravement assis, revêtu de l’élégant kami-shimon de soie bleue, son large chapeau plat en laque bleue ou noire ramené sur le front. De chaque côté du cheval marchent deux officiers. Derrière, quelques serviteurs portent la lance, emblème du rang de ce haut fonctionnaire, et les boîtes laquées contenant ses effets. Ailleurs, sur une esplanade de gazon, de tout jeunes garçons, sous l’œil de leur professeur, s’exercent à monter à cheval ou à tirer de l’arc. Généralement toutefois ces exercices ont lieu à l’intérieur des palais, et il est telle de ces grandes enceintes, soigneusement fermées, où l’on peut entendre résonner tout le jour le bruit de la mousqueterie et parfois du canon.

Du palais du taïkoun, l’on n’aperçoit que l’enceinte, énorme muraille revêtue d’une maçonnerie cyclopéenne et bordée d’un fossé

  1. M. Rodolphe Lindau, en ce moment consul et agent politique de la confédération suisse au Japon.