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châtiés. A partir de huit heures jusqu’à dix heures du matin, aucun Japonais ne pourra quitter sa demeure. A la quatrième heure, au son des tambours et des cloches, tout Japonais pourra, sans franchir toutefois les limites assignées par les yakounines, s’approcher des ruines du palais et assister au châtiment du rebelle Tcho-chiou. »


Le lendemain, à l’heure dite, l’exécution avait lieu. Le palais était cerné par les yakounines, tandis que des escouades d’ouvriers, se mettant à l’œuvre, s’appliquaient à renverser et à détruire tout ce qui s’élevait dans ses murs. Par application de la loi japonaise, qui englobe les serviteurs dans la punition de leur maître, tout ce qui serait trouvé de vivant dans l’enceinte devait être passé par les armes. D’après les premières versions arrivées à Yokohama, un grand nombre de serviteurs, de femmes et d’enfans avaient été ensevelis sous les ruines ou massacrés ; il parait toutefois que ce premier compte-rendu était, sinon faux, au moins entaché de beaucoup d’exagération, et qu’en tout cas un très petit nombre de serviteurs, n’ayant pu ou voulu s’échapper à temps du palais, tombèrent victimes d’une loi qui pousse à ses dernières limites le principe de la responsabilité.

Les derniers bâtimens, avons-nous dit, venaient de rallier Yokohama le 30 septembre. Il fut décidé que, mettant à profit l’effet moral du succès de Simonoseki, les ministres étrangers se rendraient à Yédo pour conférer avec les membres du gouvernement, et qu’ils seraient accompagnés par les divisions alliées. Nous appareillâmes le 5 octobre pour la baie de Yédo avec la Sémiramis et le Dupleix ; trois corvettes hollandaises et cinq ou six navires anglais complétaient la petite escadre, qui fut rendue en quelques heures à son nouveau mouillage.

Le fond du golfe de Yédo est peu praticable aux gros navires, en raison de la faible profondeur de l’eau au-delà de Kanagawa. Nous dûmes jeter l’ancre à deux milles au sud des défenses de la rade : cinq forts en ligne droite, bâtis sur pilotis, montraient au-dessus de l’eau leur escarpe polygonale en maçonnerie. A deux milles en arrière des forts, une suite de collines basses bordait l’horizon d’une ligne confuse de verdure et d’édifices à peine perceptibles dans l’éloignement ; c’est ainsi qu’apparaît Yédo vu de la mer. A gauche, une rangée de collines plus élevées nous cachait le mouillage de Yokohama ; non loin des forts, un petit groupe de navires portant la flamme et le pavillon du taïkoun était à l’ancre auprès de grosses jonques marchandes[1].

  1. Les Japonais, en raison des inconvéniens du mouillage de Yédo, ont récemment adopté comme arsenal provisoire un petit port situé à l’entrée du golfe de Yédo, on dedans de la pointe d’Ouraga.