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c’est tant pis pour les âmes grossières si la beauté excite en elles autre chose qu’une respectueuse admiration. Ceux qui raisonnent ainsi oublient que nous sommes les enfans et les élèves du christianisme, que nous naissons sous un ciel pâle et souvent froid, que ces marbres immobiles, rencontrés par hasard et rarement, n’ont pour nous qu’un intérêt de curiosité. Autres étaient les compatriotes de Praxitèle, et il les connaissait bien. Il savait jusqu’où iraient leurs transports à la vue de cette Aphrodite au sourire enivrant dont Lucien et Athénée ont décrit l’incroyable puissance de séduction. Ces récits sont tels qu’on ne peut les reproduire. Ils prouvent que sur le front et dans les yeux de la déesse il y avait, malgré tout, un peu plus que le tranquille et noble, rayonnement de la beauté. Les dieux du siècle précédent ne subirent jamais d’outrages) ceux de Praxitèle furent plusieurs fois profanés. Ce qu’il fallait présenter aux regards de ces générations amollies, C’était non pas l’image idéalisée de Phryné, mais la Vénus Uranie que Platon avait célébrée. S’il convient d’être de son temps, on ne peut s’empêcher de croire que Praxitèle fut un peu trop du sien.

M. Gebhart ne le lui a pas reproché, Nous comprenons en effet qu’on le traite avec indulgence quand on compare ce qu’il y a encore dans son style de discret et de contenu avec la verve qui s’épanouit librement dans les fragmens qui nous ont été conservés des poètes de la moyenne comédie. Ceux-ci n’étaient plus, comme Aristophane et ses successeurs immédiats, de hardis satiriques abordant les brûlantes questions de la politique ou de la philosophie. C’étaient habituellement des peintres de la vie commune, se plaisant à mettre en scène les vices du jour, quelquefois pour les blâmer, plus souvent pour égayer les spectateurs sans aucun souci de servir la morale. Les personnages favoris de ces amuseurs de profession étaient les gens corrompus de tous les étages, depuis la riche courtisane jusqu’au parasite et même jusqu’au cuisinier. Ils étalaient à l’envi devant le public les formes multiples de cette sensualité effrénée qui prépara la doctrine épicurienne, mais que celle-ci était fort loin de prêcher ; Qu’on juge des caractères du temps et de ceux que recherchait cette comédie d’après les passages suivans d’Alexis : « le sage doit réunir toutes les voluptés ; il y en a trois qui rendent la vie véritablement parfaite et heureuse : boire, manger et faire l’amour. » — « Que viens-tu me radoter, bavardant au haut en bas, du Lycée à l’Académie, à l’Odéon ? Enfantillages de sophistes ! Rien de bon dans tout cela. Buvons, buvons à outrance, et assis, mon cher Sicon, et vive la joyeuse bombance, tant qu’il nous est permis d’y fournir ! Allons, vive le tapage, Manès ! Rien de plus aimable que le ventre ! Le ventre, c’est ton père, le ventre, c’est ta mère ! » — « Vertus, ambassades, commandemens, vanités que