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un prêtre chargé du culte de ces deux divinités nouvelles. Ils consacrèrent, en y élevant un autel, le lieu où Démétrius était descendu de son char. Ils firent broder son portrait parmi ceux des autres dieux sur le voile de Pallas. Ils lui assignèrent pour résidence cette partie du Parthénon qu’on nommait l’opisthodome, Et là, dans le temple même d’Athéné-la-Vierge, Démétrius vivait avec ses courtisanes Chrysis, Lamia, Démo et Anticyra. Un jour, il lui prit fantaisie de lever sur les Athéniens l’énorme contribution de deux cent cinquante talens (environ quinze cent mille francs) ; les Athéniens la payèrent sur-le-champ, et Démétrius envoya cet argent à Lamia et à ses autres maîtresses. Une autre fois, cette même Lamia, voulant offrir un festin à son amant, en demanda le prix aux gens riches d’Athènes, et elle l’obtint. Indigné, le poète Philippide caractérisait Démétrius dans une de ses pièces en l’appelant « celui qui a fait de l’Acropole un mauvais lieu. » De tels scandales peignent cette incroyable époque. Décidément Aphrodite détrônait Athéné, et l’influence de la volupté remplaçait celle de l’austère et chaste intelligence.

Ce changement, dès son origine, avait été secondé par les artistes, dont la nature, essentiellement spontanée, subit plus volontiers qu’elle ne les combat les excitations du goût public. Phidias avait été surtout le sculpteur de Minerve ; Praxitèle fut avant tout le sculpteur de Vénus et de l’Amour. Si la critique parvenait à démontrer que les statues de ces deux divinités qui lui ont été attribuées n’étaient pas de lui, son originalité disparaîtrait et sa renommée serait inexplicable. Il eut le bonheur, et peut-être aussi le tort, de présenter aux yeux de ses contemporains les images, il est vrai idéalisées, de la passion qui avait envahi toutes les âmes, et qui, à cause de cela même, n’avait pas besoin d’être attisée. Nous ne saurions blâmer M. Gebhart d’avoir cherché à établir que Praxitèle fut l’auteur des Niobides, et d’avoir déployé à cette occasion beaucoup de science et de critique. Sa discussion sur ce point contesté est solide, habile et mesurée, et ce problème archéologique se rapportait bien, après tout, à son sujet. Néanmoins ce qui importe aux philosophes, justement préoccupés de déterminer les antécédens d’un phénomène intellectuel tel que la doctrine d’Épicure, c’est la place considérable qu’avait prise dans les œuvres de sculpture la représentation de la volupté divinisée. À ce point de vue, Praxitèle, son génie, la source où il puisa ses plus remarquables inspirations, doivent provoquer de sérieuses réflexions.

Si l’on admet les calculs de M. Gebhart, qui paraissent fort plausibles, Praxitèle dut naître vers l’an 384 avant Jésus-Christ. Ainsi il avait environ trente-cinq ans entre 345 et 350, époque des plus brillantes années de Phryné, et il était dans toute sa gloire dix ans