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même but par leur commun amour pour les sciences et pour les arts, eurent ensemble en partage notre pays, qui convenait singulièrement à leur vertu et à leur sagesse. »

Ce côté intellectuel de la religion nationale exerça sur l’art grec une séduction puissante et lui inspira ses plus belles créations. On a dit ailleurs, on se bornera à rappeler ici que Phidias sculpta huit ou neuf fois l’image à Athéné, et qu’il accumula sur le front et sur la tête de la Pallas du Parthénon tous les signes de la lumière, de la pensée, de la réflexion profonde et concentrée ; mais il est un autre fait, moins connu peut-être, quoique remarqué déjà avant M. Gebhart, qui l’a habilement mis à profit, et qui démontre avec quel infaillible instinct le grand artiste sacrifiait les données mythologiques propres à enflammer les sens aux fortes et austères conceptions rationnelles. Pour ceux qui ne possèdent des mythes anciens qu’une connaissance banale et superficielle, il n’y a qu’une Venus, dont le nom éveille uniquement des idées de voluptés sensuelles. Les Grecs, il est vrai, adoraient celle-là ; mais ils en honoraient une autre qu’il faut leur savoir gré d’avoir distinguée de la première. Cette distinction se retrouve dans un des plus exquis passages du Banquet de Platon, que nous transcrivons à l’intention de ceux qui ne l’auraient pas lu. « Il est constant, dit Pausanias, l’un des convives d’Agathon, que Vénus ne va point sans l’Amour. S’il n’y avait qu’une Vénus, il n’y aurait qu’un Amour ; mais puisqu’il y a deux. Vénus, il faut nécessairement qu’il y ait aussi deux Amours. Qui doute qu’il y ait deux Vénus ? L’une ancienne, fille du Ciel, et qui n’a point de mère : nous la nommons Vénus Uranie ; — l’autre plus moderne, fille de Jupiter et de Dioné : nous l’appelons Vénus Populaire. Il s’ensuit que des deux Amours qui sont les ministres de ces deux Vénus, il faut nommer l’un céleste, et l’autre populaire… Tout amour en général n’est ni bon ni louable, mais seulement celui qui nous fait aimer honnêtement. L’Amour de la Vénus populaire est populaire aussi, et n’inspire que des actions basses : c’est l’amour qui règne parmi les gens du commun. Ils aiment sans choix et n’aspirent qu’à la jouissance. » Au contraire, toujours d’après Platon, l’Amour qui suit Vénus Uranie participe davantage de l’intelligence, et c’est l’intelligence qui l’attire et le séduit. Il y avait donc, on le voit, chez les Grecs une Vénus intellectuelle, ayant avec Athéné plus d’un trait de ressemblance. Or n’est-il pas très remarquable que cette Aphrodite supérieure, dont la fonction divine était d’allumer toutes les généreuses ardeurs de l’esprit, soit la seule dont Phidias ait voulu ou daigné modeler l’image ? Il l’avait sculptée pour la ville d’Élis, ou elle avait un temple. Son pied s’appuyait sur une tortue, animal céleste chez les Indiens, et symbole chez les Grecs, selon Plutarque, du silence et de la vie