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esprit, » nous déterminent à entretenir le public de cette hardie tentative. D’ailleurs des théories philosophiques fort diverses s’efforcent en ce temps-ci d’agir sur la littérature, sur l’art, en un mot sur le génie français. Tandis que les unes, pour le relever et le rajeunir, l’engagent à puiser ses inspirations aux sources les plus hautes, les autres flattent ses plus dangereuses fantaisies et l’aident à déchoir. Les deux partis ne peuvent que gagner à bien savoir comment en Grèce l’inspiration et la pensée se sont d’abord éclairées mutuellement, puis aveuglées. Quelle fut cette réciproque influence aux trois époques de Périclès, d’Alexandre et du démembrement de l’empire macédonien ? Jusqu’à quel point l’auteur que nous avons sous les yeux l’a-t-il aperçue et constatée ? Voilà ce que nous allons rechercher ; mais on nous permettra, dans cette étude, d’avoir surtout en vue les destinées de la philosophie, et de prendre particulièrement à cœur son intérêt et ses progrès.

I.

Au siècle de Périclès, un mouvement extraordinaire se produisit qui a rendu ce temps à jamais mémorable : tout ce qu’il y avait d’intelligent en Grèce afflua vers Athènes, et Athènes imprima un essor immense aux intelligences qu’elle avait enfantées et à celles qui étaient venues du dehors lui demander l’excitation, la lumière et la gloire. Ce fait, très connu, cent fois remarqué, et qui, lorsqu’on le prend en gros, ressemble à un lieu commun historique, paraît au contraire presque nouveau dès qu’on se donne la peine de l’envisager dans les circonstances particulières qui le constituent. Alors, en même temps qu’on voit revivre sous sa plus noble forme une civilisation disparue, on apprend quel degré de force et quel irrésistible ascendant l’amour et le culte de l’intelligence peuvent communiquer à la plus petite des sociétés destinées à jouer un rôle dans le monde.

Ce n’est certes pas, — est-il besoin de le dire ? — que ces Grecs fussent autant de purs esprits dégagés des liens de la matière et maîtres absolus de leurs corps. Une sensualité tellement ardente qu’on n’oserait plus en décrire les effets circulait dans leurs veines et les jetait dans les plus déplorables égaremens ; mais, sensuels comme ils l’étaient, et tout en continuant de l’être, ce fut leur mérite et leur supériorité de rechercher passionnément les jouissances de l’esprit, d’être fiers avant tout de leur intelligence et de comprendre assez la raison pour y voir le principe même des êtres et la puissance ordonnatrice de l’univers. Un instinct naturel, qui ne manqua probablement à aucune des peuplades hellènes, mais