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déserter le candidat de Chicago et lui opposer un copperhead de meilleur aloi ; mais, toute réflexion faite, les Wood, les Vallandigham, les Voorhees et toute leur séquelle ont compris qu’il était plus sage de soutenir Mac-Clellan. Le Daily News, journal du copperheadisme avancé, affirme que le général a eu connaissance des résolutions de Chicago deux mois avant la convention, qu’elles lui ont été soumises au nom du parti démocrate par Alfred Edgarton de l’Indiana, et qu’il en a approuvé sans réserve l’esprit et la lettre. Si c’est une calomnie, pourquoi ne la point démentir ? Fernando Wood, dans un récent discours, justifie son candidat, non pas du reproche de faiblesse, mais du soupçon de patriotisme auquel l’exposent un passé honorable et une loyauté connue. « Il sera, dit-il, notre agent, notre créature ; il ne peut désobéir à la voix publique… Quant à sa lettre, tant pis pour qui s’y trompe : ce n’est qu’un subterfuge, une ruse de guerre. » De tels éloges sont des flétrissures. Peut-être en prenant une attitude plus ferme le général Mac-Clellan pouvait-ii dérober au président Lincoln l’honneur de défendre l’Union. À présent le dé est jeté, et il ruinerait sa candidature, s’il tentait de répudier des alliés infâmes.

Qu’on ne l’oublie point toutefois ; ce n’est pas une lutte ordinaire où il soit permis de consulter des préférences et des sympathies personnelles. Jamais l’Amérique n’a traversé crise si dangereuse et si solennelle ; jamais révolution pacifique n’a enveloppé de si redoutables conséquences, et lorsqu’on songe à la gravité des intérêts, à la violence des passions qui sont enjeu, on s’étonne que l’Amérique ne soit pas encore plus déchirée, et que chaque assemblée de cette lutte électorale ne devienne pas un champ de bataille. Néanmoins cette patience dont seul peut donner l’exemple un peuple instruit à la discipline des luttes politiques par un long exercice de la liberté, cette patience extraordinaire ne peut pas être éternelle. Il ne faut pas seulement que le président Lincoln soit élu, il faut encore qu’il obtienne une imposante majorité. Sinon, il est à craindre que les démocrates ne se tiennent pas pour vaincus et jettent le poids des armes dans la balance. Il importe plus que jamais de remporter sur les rebelles cette victoire de l’intérieur qui sera le présage et le commencement de l’autre.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.