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aujourd’hui leur ressource ; mais la limite est lointaine encore, si lointaine qu’on ne peut la fixer. Les Américains peuvent largement anticiper sur les gains de l’avenir sans compromettre les épargnes du passé. A moins que la guerre ne dure beaucoup d’années, à moins que le fardeau ne les écrase, ils ne seront pas hommes à se laisser abattre par une timidité vaine. Qu’ils la paient ou la répudient, la dette sera vite oubliée ; le papier-monnaie reviendra au pair et sera absorbé par de nouveaux besoins. Le jeu hardi que joue l’Amérique dépend seulement du maintien de l’Union. Si l’Union subsiste et se consolide, il ne faut s’effrayer de rien, ni de la dette, ni des impôts, ni du papier. Si fort que soit l’enjeu, la partie alors est gagnée, et paiera cent fois les sacrifices.


7 octobre.

Depuis les deux victoires de Sheridan, le général Grant semble piqué d’honneur : il livre au général Lee une série de combats peu brillans, mais effectifs, qui le mènent pas à pas jusqu’aux murs de Richmond. Ce Grant, qui ne frappe pas de grands coups et n’a pas certainement « l’immense génie » que lui prête ici l’exagération populaire, est néanmoins un homme énergique, laborieux et persévérant. Il avance lentement, parce qu’il rencontre à chaque pas les ouvrages élevés depuis trois ans par les rebelles comme une ceinture impénétrable autour de leur capitale. Le général Lee a fait là ce que les Russes faisaient à Sébastopol, avec cette différence qu’en Crimée la guerre concentrée sur un étroit espace devait finir tout d’un coup. Ici les opérations de la seule armée de Grant s’étendent sur plus de cinquante milles, et ne peuvent être poussées qu’avec grande lenteur. Il y a des fous qui voudraient culbuter Richmond avant la bataille électorale : je n’y compte pas avant l’année prochaine, et dans le cas seulement où nul changement politique ne viendrait troubler la conduite de la guerre. Quand on dit que les confédérés souhaitent que Lincoln soit élu, on dit une folie ou un mensonge, car l’élection de Lincoln, c’est la guerre poursuivie énergiquement et sans trêve. Or l’élection de Mac-Clellan signifie ce que vous savez : avant même la transmission du pouvoir, elle aurait sur l’administration républicaine et sur la conduite de la guerre une influence désastreuse ; elle serait pour Lincoln un motif de jeter le manche après la cognée. C’est l’habituelle injustice des peuples que d’imputer au dernier venu les fautes ou les bienfaits de ceux qui l’ont précédé. L’administration vaincue pourrait donc ne pas être désireuse de laisser aux démocrates le triomphe trop facile d’une victoire préparée et d’une paix glorieuse. Ils sont rares en effet les