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États-Unis, menacent de le faire malgré nous, et nos troupes, en présence des Mexicains soutenus par les fédéraux, ne peuvent manquer, si la guerre dure, de prêter main forte aux confédérés. Les Américains n’ont pas cessé de regarder le Mexique comme leur patrimoine, et aujourd’hui qu’ils ont affaire à un usurpateur étranger, ils se sentent des entrailles de frères pour ces bons voisins qu’ils allaient jadis fusiller dans leur capitale. L’opinion est là-dessus d’une vivacité qui pourrait bien justifier de notre part quelque ressentiment réciproque. Il ne se passe guère de semaine qu’on ne lise dans les journaux le récit, — vrai ou mensonger, peu leur importe, — de quelque défaite humiliante ou de quelque lâcheté honteuse des Français : c’est la pâture que réclame le patriotisme du lecteur américain. Ouvrez le Times ou le Herald de New-York, la Tribune de Chicago, l’Enquirer de Philadelphie, ou bien quelque obscure gazette de province ; il est rare qu’à la première page, après la nouvelle obligée d’une victoire, remplacée, quand cette victoire manque, par l’annonce pompeuse de quelques détails réchauffés des dernières batailles, vous ne lisiez en grosses lettres : « Mexique. — Désastre des impériaux. — Triomphe du général républicain un tel. — Fuite de Johnny-Crapeau (c’est ici notre surnom national, imaginé sans doute pour être mis en regard de John Bull, comme la grenouille qui voudrait imiter le bœuf). » Les escarmouches insignifiantes sont annoncées comme de grands faits d’armes. Dût la lecture du texte contredire absolument le titre qui vous attire, l’effet est produit, et les grosses lettres moulées de la première page auront toujours raison des petits caractères illisibles égarés au bas de la quatrième. Dernièrement le Chicago-Times mettait en vedette : « La déroute des Français continue, » quand au contraire il racontait qu’une bande de guérillas mexicaines avait été fort maltraitée par une patrouille de cavalerie française.

A vivre longtemps en Amérique, on se prendrait à faire des vœux pour Maximilien et le nouvel empire. Il faut avouer pourtant que notre entreprise est bien faite pour porter ombrage aux États-Unis. La fameuse doctrine de Monroë, que nous regardons comme le prétexte grossier d’une ambition sans scrupule, est en elle-même aussi respectable que notre théorie de l’équilibre européen. Quand nous nous armons pour défendre contre l’avidité des forts l’indépendance des faibles, la justice abstraite n’est pas évidemment notre seul mobile : nous obéissons aussi à nos intérêts légitimes en empêchant de s’élever trop près de nous des puissances rivales. Les Américains ne font pas autre chose quand ils interdisent aux nations européennes de prendre pied sur leur continent. Qu’on se figure la juste colère de l’Europe le jour où les Américains s’aviseraient de la