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salle un pareil précipice. Une échelle descend au fond, ou plutôt à mi-côte de l’abîme. De là on aperçoit au-dessus de sa tête, à une hauteur prodigieuse, deux ou trois cents pieds, une voûte en arceaux à forme de dôme. A gauche s’ouvre la gueule d’un gouffre obscur ; à droite, une pente rapide et glissante sur une montagne de roches ébranlées conduit à une galerie régulière, bordée de gros faisceaux de colonnes, pareille à la nef colossale d’une cathédrale romane. Tout à coup un feu de Bengale illumine ce lieu plein d’horreur. Les grands piliers de la galerie haute surgissent de l’ombre à la tremblante lumière bleue ; ils semblent là-haut inaccessibles comme le porche d’un palais aérien. On voudrait y placer la sombre figure de l’hippogriffe aux larges ailes qui emporte Dante et Virgile vers les régions supérieures, à travers les puits sans fond de l’enfer. J’y monte pourtant, à l’aide de mon bâton et de ma lanterne, et là, au milieu d’un pêle-mêle gigantesque de quartiers de roche entassés, je plonge des deux côtés sur l’abîme comme du haut d’un échafaudage élevé dans l’immense édifice. Le guide allume encore une fusée, et j’embrasse d’un coup d’œil l’ensemble du palais infernal. Nefs sombres, voûtes lumineuses, chapiteaux, cannelures, colonnettes, piliers gros comme des tours m’apparaissent dans un demi-désordre grandiose comme un essai prodigieux d’architecture inachevée ; puis la vision lutte un instant avec les ténèbres, elle s’évanouit, et l’on n’entend plus rien que le tintement argentin des gouttes d’eau qui tombent une à une au fond du gouffre.

J’en sors comme j’y suis entré, rampant sur mes genoux ; je dîne accroupi au bord d’une source, et vers le soir je revoyais le jour. On ne parle à Mammoth-Cave que des cavernes. Il y a pourtant, à deux pas de l’auberge, un fond de vallée frais et ombreux où se cachent de délicieux paysages. Vers le coucher du soleil, je pris en flânant un sentier qui descendait le long du ravin. Tout en m’enfonçant pas à pas dans la vallée, j’admirais les colonnes sveltes des érables et des sycomores, le fouillis des vignes vierges et des lianes sauvages. Là un petit ruisseau serpente sous la futaie ; des sentiers courent sous des berceaux naturels de verdure ; les arbres élancés semblent choisis parmi les plus beaux et soignés comme dans un parc. Tout à coup le sentier s’enfonce : je me trouve à l’improviste au bord d’une rivière limpide, aux eaux vertes, au courant rapide, qui coule encaissée entre deux bouquets touffus de saules et de platanes inclinés, dont les longues chevelures pendent sur les eaux en guirlandes légères. Çà et là des troncs gisans dans la rivière font bondir l’eau écumante. Une petite île couverte d’osiers la divise en deux branches. J’y passe sur un arbre