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la rébellion, n’ont pas souffert autant que les border-states. Ici l’ordonnance de sécession n’a été obtenue que par l’intimidation et la violence. Pendant les deux mois qui ont précédé les élections, on a menacé, maltraité, persécuté de toute façon les unionistes ; on les a chassés des polls ; ceux qui ont voté n’ont pu le faire que les armes à la main. On cite un M. H…, riche planteur du Tennessee, qui fut officiellement menacé de la potence, s’il ne se rangeait du parti des rebelles. Le jour de l’élection, il alla aux polls avec deux de ses esclaves armés jusqu’aux dents et vota contre la révolte. On le traduisit devant une commission militaire, on le mit en prison, on le ruina d’exactions, on fit camper deux régimens sur ses terres, on empoisonna son puits, on tenta de l’assassiner. Ce fut un temps d’affreuse anarchie : le frère trahissait le frère, le père trahissait le fils ; d’anciens amis se dénonçaient l’un l’autre. Chacun courait sus à ses ennemis. Les haines privées prenaient le masque des inimitiés civiles, et cela dura jusqu’au jour où les armées fédérales reprirent possession du pays.

Aujourd’hui la plupart des grands planteurs ont émigré vers le sud, laissant leurs esclaves libres et leurs biens abandonnés. Des hommes nouveaux, énergiques, sortis des rangs du peuple, et ennemis fougueux de l’oligarchie esclavagiste, le gouverneur Johnson[1] du Tennessee, le prédicateur abolitioniste Brownlow, le fighting parson, comme on l’appelle, rallument au cœur du peuple un ardent patriotisme. Ce sont des hommes qui savent tour à tour parler et combattre, qui ont bravé cent fois la mort, qui paraissent dans les meetings le pistolet au poing, qui enfin appartiennent eux-mêmes à cette classe plébéienne des petits blancs (mean whites) que le système de l’esclavage tenait dans la misère et dans l’abjection. Sous leur conduite, les unionistes ont repris courage, et maintenant ils savent se défendre ; mais ce gouvernement n’est encore que la guerre civile organisée, Les guérillas sont plus nombreuses, plus audacieuses que jamais : tous les voleurs, assassins, repris de justice et coupe-jarrets du pays mettent leurs crimes sous le manteau de la sécession ; le gouvernement de Richmond en prend pour lui le bénéfice et la responsabilité. — Un certain Woodward, maître d’école à Hopkinsville, leva au début de la guerre quinze cents hommes, tout un régiment de cette racaille ; il en a maintenant de cinq à six mille. Chaque jour, des hommes ruinés, désespérés ou altérés de vengeance, se jettent tête baissée dans cet enfer. On tue, on brûle, on n’épargne rien. Un chef de bande du nom de Ferguson ouvre le ventre à ses prisonniers. Les victimes

  1. Aujourd’hui président des États-Unis.