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en regard du titre avec cette inscription : Signum reprobationis in vultu gerens. « Et certes on ne pouvait le nier à cause du portrait, car la gravure était misérable, une vraie caricature. Cela rappelait ces adversaires qui commencent par défigurer celui auquel ils veulent du mal, et qui le combattent ensuite comme un monstre. » L’auteur de ce pamphlet était de cette école pieuse qui, dès la fin du XVIIe siècle, confondit le spinozisme avec l’athéisme pur. À cette école appartenait le doux Malebranche, qui, dans sa correspondance, traite tout simplement Spinoza de misérable athée, sans doute pour décliner, par la violence exagérée de l’expression, tout soupçon de parenté entre l’Ethique et la Recherche de la vérité. Ce méchant petit livre ne fit aucune impression sur Goethe, « parce qu’en général il n’aimait pas les controverses, et qu’il préférait toujours apprendre de l’homme ce qu’il pensait plutôt que d’entendre dire à un autre ce que cet homme aurait dû penser. » La curiosité l’engagea pourtant à lire l’article Spinoza dans le dictionnaire de Bayle.

Il en fut assez mécontent, sans doute parce qu’il ne saisit pas, à une lecture rapide et superficielle, le procédé ironique de Bayle, qui aime à cacher sa vraie pensée sous une affectation de bonhomie et de bavardage. « On commence par déclarer l’homme athée et ses doctrines extrêmement condamnables, puis on avoue qu’il était paisible, méditatif, appliqué à ses études, bon citoyen, ami expansif, tranquille et doux, en sorte qu’on paraissait avoir entièrement oublié la parole de l’Évangile : « vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » En effet, comment une vie agréable à Dieu et aux hommes résultera-t-elle de maximes funestes ? Je me rappelais encore très bien le calme et la clarté qui s’étaient répandus en moi, lorsqu’un jour j’avais parcouru les ouvrages laissés par ce penseur original. L’effet était encore parfaitement distinct, mais les détails étaient effacés de ma mémoire. Je m’empressai donc de revenir à ses écrits, auxquels j’avais eu tant d’obligations, et je sentis l’impression du même souffle de paix. Je m’adonnai à cette lecture, et je crus, portant mes regards en moi-même, n’avoir jamais eu une vue si claire du monde. » Dans une autre partie de ses mémoires, faisant allusion aux tentations qui avaient séduit un instant son esprit et l’avaient sollicité dans les sens les plus contradictoires tantôt vers la chimie mystique, tantôt vers les doctrines des frères moraves, dans les intervalles de « ses dissipations, » Goethe exprime avec ravissement le bonheur intellectuel que lui donna la lecture de Spinoza, a Après avoir cherché vainement dans le monde entier un moyen de culture pour ma nature étrange, je finis par rencontrer l’Éthique. Ce que j’ai pu tirer de cet ouvrage, ce que