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mettre d’accord. N’y eût-il entre la religion et la philosophie que la différence des procédés, chacune trouverait encore le sien le meilleur ou même le seul bon, et par conséquent, sans même s’attaquer, elles se contrediraient. On ne peut répondre d’ailleurs que deux procédés différens mèneraient à des conclusions identiques, et si les conclusions sont opposées entre elles, la religion et la philosophie sont la négation l’une de l’autre.

Dira-t-on que cette contradiction est indifférente, puisque la religion et la philosophie sont des choses également naturelles et nécessaires ? L’argument n’irait qu’au scepticisme, car il supposerait l’indifférence à la vérité. Les fausses religions sont une expression du même instinct, du même besoin de croyances surnaturelles, qui paraît un élément nécessaire de toute société. Pourtant dans cette immense partie de l’Asie où règne le Bouddha, où le néant est adoré comme la sainte béatitude, où le nom de Dieu n’est jamais prononcé comme celui d’un père, d’un maître ou d’un juge, au sein de ces deux, de ces trois cents millions d’hommes qui n’admirent qu’une vertu toute négative, anticipation du repos éternel, la philosophie peut-elle être saisie d’un grand respect pour un tel culte, et, se fît-elle une loi de le ménager, peut-elle s’abstenir de lui nier en face ses dogmes les plus chers et de combattre dans les âmes la dangereuse influence d’une doctrine d’anéantissement volontaire ?

De même, si l’on exige de la religion une bienveillance presque fraternelle pour la philosophie, c’est apparemment pour la philosophie, quelle qu’elle soit, car, suivant la définition d’un maître, la philosophie est la réflexion dans sa liberté absolue. Or la réflexion peut conduire l’esprit au scepticisme, au panthéisme, au matérialisme. Telle peut être la philosophie d’un temps et d’un pays. Et si elle a droit d’exister au nom de la liberté de la pensée, comment cependant exiger qu’une religion fondée sur une saine notion de la Divinité s’interdise d’attaquer une semblable philosophie dans son principe et dans ses conséquences ?

On peut dire que ce sont là des suppositions sans intérêt pour nous. Les cultes chrétiens et les philosophies spiritualistes contiennent des vérités communes et offrent des points de contact qui sont des raisons de s’entendre ou du moins de s’estimer réciproquement. Oui, grâce à Dieu ; mais quand nous parlons au nom de la philosophie, nous ne stipulons pas seulement pour le spiritualisme, nous réclamons la liberté de l’esprit humain. Or nous ne pouvons empêcher la théologie de tenir nécessairement l’incrédulité pour le plus grand des malheurs et le plus grave des torts, puisque le salut éternel en dépend. Des philosophes ne pourront jamais légitimement qualifier de même la dissidence et l’erreur. En laissant à la