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vive, c’était la présence de ces personnes que leur laideur devait marquer irrévocablement comme les ennemis décidés de sa doctrine sur la signification des physionomies. Elles employaient avec une malveillance passionnée et un scepticisme mesquin assez de bon sens, de talent et d’esprit à combattre une doctrine qui semblait offensante pour leurs personnes, car il ne s’en trouvait guère qui, avec la grandeur d’âme de Socrate, eussent présenté justement leur enveloppe de satyre comme le témoignage honorable d’une moralité acquise en dépit de la nature. La dureté, l’obstination de ces adversaires, le faisaient frémir : il leur opposait une résistance passionnée ; sa pensée s’allumait : c’était comme le feu qui, dans la forge, saisit les minerais réfractaires et les embrase[1].

Tel était le voyageur qui s’annonça un jour à Goethe comme devant faire le voyage du Rhin et passer bientôt à Francfort. Ils étaient, depuis un an environ, entrés en relation l’un avec l’autre à l’occasion de la Lettre du pasteur à ses collègues, une de ces petites compositions de sa première jeunesse que Goethe appelle lui-même sibyllines, et qu’il avait écrite sous l’inspiration un instant acceptée de la théologie malsaine de Hamann, le mage du Nord. Certain passage de cette Lettre, où se trouvaient indiquées des vues sur un christianisme romantique, avait beaucoup frappé Lavater, qui écrivit à l’auteur. Sa correspondance devint bientôt très active avec ce jeune homme, qui pouvait devenir un brillant adepte. Il entreprit de le convertir d’abord au christianisme pratique, expérimental, sans doute pour l’amener ensuite au système physiognomonique, mais il rencontra une résistance inattendue dans la première partie de son programme. — « Mes relations avec la religion chrétienne étaient tout entières d’intelligence et de sentiment, et je n’avais pas la moindre idée de cette parenté physique, de cette identité réelle avec le Christ à laquelle Lavater inclinait. Je trouvai donc fâcheuse la vive importunité avec laquelle il me poursuivait, soutenant qu’on devait être chrétien avec lui, chrétien à sa manière, ou bien qu’on devait le convaincre aussi de la vérité dans laquelle on trouvait son repos. Quand il finit par me présenter ce dilemme rigoureux : ou chrétien ou athée, je lui déclarai nettement que, s’il ne voulait pas me laisser mon christianisme tel que je l’avais nourri jusqu’alors, je pourrais bien me décider pour l’athéisme, d’autant plus que personne ne me semblait savoir exactement ce qu’étaient l’une et l’autre croyance. » La vivacité de cette repartie ne troubla point la bonne harmonie des deux correspondans, qui étaient devenus amis à distance. La foi de Lavater dans sa doctrine, sa douce obstination, ne se décourageaient pas pour si peu de chose. D’ailleurs, religion

  1. Mémoires, troisième et quatrième partie, passim.