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salut dans des voies bizarres. Goethe nous donne dans ses mémoires une piquante peinture de ce groupe. On y voit figurer, à côté de sa mère, cette aimable demoiselle de Klettenberg dont le souvenir a inspiré au poète de belles pages dans Wilhelm Meister, un chirurgien piétiste, un médecin aux allures mystiques, au regard malin, à la parole caressante, un peu sorcier. Ce médecin était en possession d’un remède souverain, d’une sorte de pierre philosophale de la santé universelle, d’un sel admirable qu’on ne devait employer que dans les cas les plus dangereux, et dont il n’était question qu’entre les fidèles, quoique personne encore ne l’eût vu et n’en eût ressenti les effets. Par un enchaînement de causes physiques et de causes morales, la recette ne pouvait agir que sur les dévots de la petite église ; elle ne pouvait se transmettre que sous certaines conditions d’initiation. Pour la produire et la mettre en usage, il fallait pénétrer plus ou moins dans le grand œuvre, dans les mystères de la nature. « Ce n’était pas quelque chose d’isolé, c’était quelque chose d’universel, et qui pouvait même être produit sous diverses formes et diverses figures. » Goethe devint l’heureux sujet, annoncé sans doute par les astres, sur lequel la grande expérience fut tentée. Une crise dans son mal étant survenue, il crut qu’il allait mourir. Tous les remèdes étaient sans effet. « Dans cette extrémité, ma mère conjura avec les plus vives instances le docteur, fort perplexe, d’employer son remède universel. Après une longue résistance, il courut chez lui, la nuit étant déjà fort avancée, et en rapporta un petit verre d’un sel cristallisé qu’on fit dissoudre dans l’eau et qui fut avalé par le patient. Cela avait un goût alcalin prononcé. Aussitôt après, je me sentis soulagé, et dès lors mon mal parut tourner à la guérison. Je ne puis dire combien cet événement augmenta notre confiance dans le médecin et fortifia notre désir d’acquérir un pareil trésor. » Assistons-nous ici à quelque scène de médecine cabalistique égarée en plein XVIIIe siècle, ou bien à la naissance de la médecine homœopathique ? La petite fiole du docteur contient-elle quelque substance préparée avec des formules d’incantation ou quelque dose infinitésimale d’un aconit merveilleux ?

Quoi qu’il en soit, voilà Goethe guéri et engagé dans la pieuse confrérie. Le voilà même admis aux honneurs, choisi par Mlle de Klettenberg pour étudier avec elle l’Opus Mago-Cabbalisticum de Welling, pour chercher avec elle le secret de l’auteur, un instant entrevu et disparaissant tout à coup dans ces alternatives de lumière et d’obscurité qui désespéraient les deux amis. Bientôt cet ouvrage ne leur suffit pas. Ils remontent aux sources. Paracelse, Basile, Valentin, van Helmont, Starckey et les autres y passent tour à tour ; mais toutes les prédilections de Goethe furent pour l’Aurea catena Homeri, « dans laquelle la nature est présentée, bien que d’une