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certains de ses voisins doit être considéré par la France comme une agression contre elle-même ; elle doit tout faire pour prévenir une agression de cette nature ; elle-doit se protéger contre une telle tentative en prenant les garanties territoriales nécessaires à sa sûreté et à l’accroissement de ses moyens de défense. L’économiste et le politique des temps de liberté et de paix où règne la foi des traités et où les peuples se ménagent et se respectent mutuellement peuvent faire bon marché des questions de frontière ; mais, quand les choses sont remises à l’ascendant de la force, les questions de frontière ou plutôt d’extension de territoire vers celui qui peut devenir l’agresseur deviennent vitales. L’intérêt capital est de mettre alors entre soi et l’ennemi le plus de territoires et de population que l’on peut. Ce sont ces nécessités des siècles de guerre qui ont contraint la France a étendre successivement son territoire ; les mêmes nécessités se produisant nous forceraient à nous agrandir encore sous peine de déchoir.

M. Dechamps se rend parfaitement compte des nécessités qui seraient ainsi créées à la France, et il voit d’avance les dangers que les transformations intérieures de la confédération germanique peuvent faire courir au royaume belge. Nous ne suivrons point l’auteur de la brochure sur la France et l’Allemagne dans les diverses hypothèses que parcourt son imagination, et nous ne nous permettrons point de juger les conseils qu’il donne à ses compatriotes pour les rendre dignes de faire survivre l’autonomie belge à une crise européenne. M. Dechamps sent très bien que le tour que prendront les affaires d’Allemagne va dépendre de l’expérience tentée aujourd’hui par l’empereur François-Joseph du côté de la Hongrie. Toute la question est en effet de savoir si l’Autriche pourra résister en Allemagne. Un envahissemens de la Prusse, ou si elle sera forcée de céder à sa rivale en se réservant une part au butin. Or c’est au succès de l’effort intérieur accompli en ce moment qu’est attachée la puissance que l’Autriche pourra déployer dans les affaires allemandes. Si l’Autriche parvient à se rallier la Hongrie, si elle réussit à asseoir son empire sur la fédération volontaire et confiante des nationalités qu’elle régit, elle pourra reprendre son rôle de protectrice des états moyens de la confédération ; elle pourra imposer pour la question des duchés une solution plus équitable que celle qui ressortirait des prémisses posées provisoirement à Gastein ; elle pourra arrêter la Prusse. Alors la France sera rassurée, et M. De-champs ne tremblera plus pour l’autonomie belge.

Mais par malheur il est devenu bien difficile de compter sur un succès de la politique autrichienne. M. Dechamps en a fait ingénieusement la remarque. « L’Autriche a eu le tort, que la fatalité des choses lui a peut-être imposé, de poursuivre depuis un siècle quatre politiques à la fois pour les perdre toutes successivement : sa politique danubienne, sa politique italienne, sa politique hongroise et sa politique allemande. » La politique danubienne était celle des vieilles guerres contre les Turcs, que continuèrent Marie-Thérèse et Joseph, et qui a été abandonnée depuis ce