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lanceros qui ont fait un retour offensif. On les poursuit de près : depuis une demi-heure, ils galopent à l’horizon à toute vitesses quelques efforts encore, on va les atteindre, la pointe dans le dos. Soudain le cri : halte ! se fait entendre chez les Français. Une immense barranra coupe le sentier ; l’ennemi s’est dérobé par une autre route. Au bord du ravin se dresse une grande tienda isolée. Les portes sont closes, on les enfonce. Quel spectacle pour des cavaliers altérés ! Sur une vaste table de bois, trente-huit tasses de café bien sucré fument encore. Sur le feu chante une grande marmite de riz entremêlé de quartiers de volailles et de raisins secs. Le chiffre des lanceros était donc clairement écrit sur la table ; c’étaient trente-huit convives que l’on venait de mettre en fuite.

La position de Jamapa était périlleuse à occuper après le soleil couché à cause de son épaisse ceinture de broussailles. On y passai pourtant la nuit ; les sentinelles se cachèrent dans les hautes herbes, de manière à tout entendre et découvrir sans être vues. L’ordre fut donné de n’user que de l’arme blanche en cas d’attaque, et chacun s’endormit jusqu’au matin. Le réveil fut éclairé par l’incendie du village désert, qu’on livra aux flammes. Tous les ranchos rencontrés sur la route jusqu’à la Tejeria eurent le même sort. Parmi les ranchos brûlés était celui de Rodeo de Palmas. Dans son coral, on trouva suspendus à un arbre les crânes blanchis de nos soldats égorgés à Rio-de-Piedras. Ces exécutions énergiques, si même on ne les considère pas comme de justes représailles des horreurs de la Loma, étaient nécessaires : la mauvaise saison approchait, et il fallait enlever à l’ennemi tous les abris, qui lui sont aussi indispensables qu’aux Européens pendant la saison de l’hivernage dans les terres chaudes.

A onze heures du matin, la colonne débouchait à la Tejeria. Le 11 au soir, elle s’établissait au camp de la Loma, près du chemin de fer. Le 12, avant le jour, on tombait déjà sur le rancho de Mata-Mari a, à deux lieues de distance, où quinze guérilleros surpris payaient de leur vie leur complicité dans l’attentat du 6 avril. Le Mexicain Outrera, régisseur de la ferme, y était fait prisonnier. Il invoqua sa parenté avec le colonel Figarero, chef d’une de nos contre-guérillas mexicaines ; mais deux lettres dont il était porteur, signées par Honorato Dominguez et Marco Heredia, qui commandaient les fameuses bandes, trahirent sa culpabilité et lui ouvrirent les portes du fort Saint Jean-d’Ulloa. Dans le coral attenant à la ferme, on eut la bonne fortune de mettre la main sur trente sept chevaux, la plupart sellés. Ils devaient servir à remonter la contre-guérilla et à combler les vides opérés par les dernières, marches. Avant de rien tenter au loin, il fallait surveiller les ateliers du chemin de fer qui étaient infestés de bandits. Le directeur