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s’assure qu’on a enlevé les capsules, et défend, sous peine de mort, de tirer un coup de feu, quoi qu’il arrive ; puis on marche, le sabre au poing, avec les plus déterminés, du côté de la fusillade. L’alerte fut de courte durée : arrivée sur un point culminant, la cavalerie aperçut les lueurs de la fusillade dans le lointain ; l’écho, au milieu du silence de la nuit, avait trompé les oreilles les mieux exercées. C’était l’infanterie qui, dans sa fausse attaque, devançant l’heure convenue, avait ouvert le feu trop tôt. La colonne reprit la route du gué, et l’on se remit en selle. Cette fausse alerte sauva la cavalerie, car on sut plus tard que, près du point où l’on avait changé de route pour se porter au secours des deux pelotons qu’on croyait massacrés, nous attendait une forte embuscade ennemie qui, prévenue subitement de l’arrivée des Français, s’était crue découverte, tournée déjà peut-être. Au même moment, des signaux annonçaient aux Mexicains embusqués l’approche du détachement égaré, et la fusillade engagée sous Tlaliscoya mettait en fuite la guérilla, convaincue que la ville assiégée allait être attaquée par des troupes supérieures en nombre.

Une demi-heure après, le Rio-Blanco fut traversé au gué appelé Callejon-dii-la-Lecheria. On déboucha bientôt sur la route, à 400 mètres en arrière des abatis d’arbres gardés par une portion des « forces libérales. » A quelque distance de la ville, l’ordre est donné de mettre le sabre à la main et d’aborder la position à fond de train. Les cavaliers partent de toute la vitesse de leurs chevaux, et en quelques minutes, au milieu de cris sauvages, tombent à revers sur les guérillas, qui, épouvantées de cette apparition inattendue, lâchent leur décharge et s’enfuient de toutes parts, abandonnant sur place armes, chevaux et drapeaux. Nos fantassins, continuant leur fusillade de la rive opposée, blessent un de leurs camarades, et ne cessent le feu qu’à l’appel de la trompette sonnant la fanfare de la contre-guérilla.

Avant cette attaque, malgré la violence du coup de norte, toutes les maisons de Tlaliscoya étaient illuminées à giorno sur la face opposée à la rivière. Comme par enchantement, à l’entrée des assaillans, toutes les lumières s’éteignirent, et les portes se fermèrent. La menace de mettre le feu à la ville, communiquée par un sereno (veilleur de nuit), produisit un effet magique : les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes. On était maître de Tlaliscoya ; mais la position était très aventurée, car la guérilla qui avait défendu Tlaliscoya, forte au moins de deux cent cinquante hommes sous les ordres du colonel Gomez, pouvait d’un moment à l’autre, prévenue par la population du petit nombre des assaillans, faire un retour offensif. Le moindre désordre parmi les vainqueurs pouvait causer un désastre,