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trahison, servit de guide, la petite colonne se mit en route, et par un sentier de bêtes fauves se dirigea sur les ranchos[1] voisins de l’arroyo de Cañas, où se retirait quelquefois don Juan Pablo. La nuit était affreuse, il tombait une pluie torrentielle ; les visages et les mains se déchiraient aux épines du chemin. A trois heures du matin, on se précipita sur les cases ; tout était désert. Pourtant au pied d’un lit s’élevait un amas de laine fraîchement remuée, les matelas parurent suspects ; on fouilla, et grâce à la pointe du sabre qui piqua dans les chairs on trouva deux lieutenans de Juan Pablo, son beau-frère Juan Lopez et son cousin Omata. Ils faisaient tous deux partie de la bande qui la veille avait assassiné l’Espagnole. Les ranchos furent livrés aux flammes et les deux prisonniers furent passés par les armes. C’était la première carte de visite de la contre-guérilla française aux bandits des terres chaudes. A six heures du matin, la petite colonne était rentrée à Medellin sans que les habitans eussent eu avis de sa sortie.

Chaque jour, de Medellin on poussait de légères reconnaissances dans toutes les directions ; c’était désormais la guerre de partisans. Opérer par petits groupes, voir de ses propres yeux, se tenir toujours au courant des mouvemens les plus secrets de l’ennemi, déjà mieux servi que nous par les indigènes, parcourir de grandes distances en peu de temps, tomber à l’improviste sur les retraites les plus cachées, tel était le nouveau service inauguré, et qui allait former de véritables partisans, reliés à l’armée régulière par une discipline plus ferme et cette assurance d’un appui réciproque qui donne de l’audace.

Le 7 mars, du côté de Puente-Morone, un individu à cheval, à la vue de nos cavaliers débouchant subitement dans un sentier, prit la fuite à toute bride. Malgré la vitesse de son cheval, il fut arrêté. Il était porteur d’un passeport parfaitement en règle que lui avait délivré le jour même la préfecture politique de Vera-Cruz. Rien ne ressemble à un honnête homme comme un voleur. L’exhibition empressée de ses papiers fit pourtant naître quelques soupçons. Après qu’il eut été vainement fouillé, il fut déshabillé, et un soldat découvrit sous l’aisselle du bras gauche un gros paquet de capsules de guerre soigneusement caché. Le fugitif, amené à Medellin malgré ses protestations d’homme de bien, fut reconnu comme membre de la guérilla de Jamapa commandée par Antonio Diaz. Pio Quinto (c’était son nom) avait guerroyé longtemps avec les Indiens pintos[2] pour et contre le féroce Alvarez, le vieux chef d’Acapulco

  1. Habitations rurales.
  2. Ainsi nommés à cause de leurs taches de lèpre.