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Il est encore possible de suivre géographiquement l’histoire d’Agar. et de son fils, et il n’y a point de conjecture téméraire à supposer que les ismaélites aient conservé, aussi bien que les enfans de Jacob, le premier dogme de la religion naturelle et révélée tout ensemble qui se personnifie dans Abraham. Sur eux aussi. Dieu avait ses desseins. « Levez-vous, prenez l’enfant, disait à Agar l’ange dans le désert, et tenez-le par la main, parce que je le rendrai chef d’un grand peuple. » (Gen., XXI, 18.) C’est la prédiction que les Arabes ismaélites ont prétendu accomplir. Ils savaient que, suivant un autre verset, le fils aîné d’Abraham devait dresser son pavillon vis-à-vis de tous ses frères (XVI, 12), et ils ne croient pas avoir fait mentir les livres saints.

Mais d’après eux c’est plutôt par une inspiration intérieure que par une révélation surnaturelle qu’Ibrahim, l’ami de Dieu, comme ils le nomment, avait été amené à l’idée du Créateur invisible et tout-puissant. Confirmé dans sa foi par plus d’un miracle, il alla, disent-ils, prêchant la vérité et poursuivant l’idolâtrie en Babylonie, en Syrie, en Palestine, en Égypte. C’est de là qu’il ramena son esclave Agar, dont il eut un fils. Pour satisfaire à la jalousie de Sara, il conduisit, par un commandement divin, la mère et son enfant au lieu où longtemps après fut bâtie La Mecque, et il les y laissa. La solitude était aride et désolée ; mais Ismaël frappa du pied, et une source jaillit : c’est la fontaine de Zemzem. Ce prodige désigna Ismaël au respect de tous. Abraham vint le retrouver plus d’une fois, et c’est lui, non Isaac, qu’un jour il fut sur le point d’immoler pour obéir à Dieu. C’est ce fils, personnage élu comme son père, qui fut le chef d’une race ou d’une sorte de dynastie que la science très hasardée des généalogistes conduit jusqu’à un certain Adnan, né moins d’un siècle avant Jésus-Christ, mais ancêtre authentiquement reconnu de Mahomet.

Ces légendes et d’autres plus étranges sont l’œuvre des siècles. L’islamisme a pu les compliquer rétroactivement de détails de plus en plus fabuleux, mais on peut très bien admettre que, lors de l’ère chrétienne et même auparavant, les tribus appelées aussi par l’Écriture ismaélites, celles dont une caravane avait acheté Joseph pour le vendre à Putiphar, persistassent à se croire les dépositaires par excellence de la tradition d’Abraham. Cette tradition, qui n’était pas corroborée par une discipline et une institution aussi fortes que l’établissement mosaïque, ne les avait pas préservées des fictions et des pratiques de l’idolâtrie. Les autres tribus arabes en étaient encore moins exemptes, et le christianisme lui-même n’avait fait qu’effleurer les préjugés obstinés de ces nations sœurs de la nation israélite.

Généralement l’Asie s’est toujours montrée rebelle à l’influence