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ce serait donner son approbation à un succès d’un exemple si dangereux, surtout dans un moment où il est de notoriété publique qu’une association s’est formée en France pour la propagation des funestes doctrines qui, en renversant le trône de Henri IV, ont bouleversé toute la monarchie, et lorsqu’on en a déjà ressenti les insinuations en Saxe et dans plusieurs endroits en Allemagne, où des Français ont été pris et punis. Je sais que les sujets qui vivent sous la domination de l’impératrice, gouvernés avec autant de bonté que de gloire, ne peuvent que sentir leur bonheur ; mais on connaît aussi la force de l’enthousiasme, le danger des exemples et l’épidémie des effervescences populaires, épidémie qui vient de s’étendre du fond de l’Amérique sur la France… Ma proposition serait donc que les ministres des cours du Nord remissent ensemble et le même jour à Paris une note au ministre des affaires étrangères, conçue dans les mêmes termes, déclarant qu’on ne recevrait et ne reconnaîtrait d’autre pavillon français que ce qui, de temps immémorial, a été reconnu pour tel, — qu’on ne souffrirait pas qu’aucun vaisseau quelconque en portât d’autre, et que, comme chaque puissance est maîtresse chez elle, on ne doutait pas que le roi de France ne prévînt par ses ordres les désagrémens que ses sujets éprouveraient, s’ils contrevenaient à cette résolution prise par toutes les puissances maîtresses de la Baltique[1]… »


Gustave terminait en donnant lui-même un projet de note qu’il proposait à la signature de l’impératrice. On voit que l’initiative et la confiance ne lui faisaient pas défaut : déjà il se voyait à la tête d’une armée suédo-russe ; il domptait les factions au dehors comme il les avait domptées au dedans ; il sauvait de l’anarchie le plus beau royaume de l’Europe, rétablissait Louis XVI et raffermissait en même temps tous les trônes ébranlés. Il ne lui manquait, pensait-il, pour accomplir une œuvre si grande, que des armées suffisantes et de l’argent : la coopération de la Russie lui donnerait tout cela ; il y ajouterait l’appoint du génie politique et militaire. — Voyons cependant comment Catherine II accueillait son message. Nous l’apprenons avec un curieux détail par la dépêche chiffrée que le comte de Stedingk adressa au roi de Suède le 8 février en réponse à la proposition royale du 21 janvier. La physionomie du narrateur et celle de la tsarine, dont il raconte l’attitude, sont ici également intéressantes. Stedingk était loin dès lors de partager

  1. Je dois la communication de ces précieux documens et de bien d’autres encore concernant l’histoire de la contre-révolution à l’extrême obligeance de M. le comte de Manderström, ministre des affaires étrangères de Suède, qui a bien voulu me confier les copies faites par lui-même sur les pièces originales ou sur les minutes officielles conservées dans les archives du ministère des affaires étrangères à Stockholm. L’ensemble de ces pièces forme toute une page de notre histoire presque contemporaine qui ne pouvait être mieux traitée que par l’homme d’état si lettré qui les avait d’abord recueillies. Aussi n’ai-je pu consentir à tenter de les mettre en œuvre qu’en gardant le regret du curieux livre que M. le comte de Manderstrôm en eût tiré.