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que par le désir brûlant d’acquérir une juste gloire. Pourquoi faut-il que la politique s’oppose en ce moment aux souhaits les plus chers à mon cœur ? Ayant votre majesté pour modèle, je ne connais rien de noble et de grand à quoi je ne puisse aspirer ; mais votre majesté a l’esprit trop juste pour ne pas sentir les motifs qui me forcent à refuser les offres flatteuses qu’elle m’a faites. Reçu, traité comme un fils dans la cour du roi de Sardaigne, c’est là que je dois fixer mon séjour jusqu’au moment, où il me sera permis de rentrer dignement dans ma patrie et d’aspirer justement à l’espoir de la bien servir ; mais j’ose supplier votre majesté d’être persuadée que je n’oublierai jamais la reconnaissance que je lui dois, et que les sentimens tendres et respectueux qu’elle m’a inspirés ne finiront qu’avec la vie. — Je suis, monsieur mon frère, etc. »

« CHARLES-PHILIPPE. »

« Au château de Montcallier, le 12 octobre 1789[1]. »


La réponse du prince de Condé, datée de Turin, 16 octobre[2], égalait, si elle ne la dépassait pas, celle du comte d’Artois en témoignages de reconnaissance et d’admiration. — Si quelque chose pouvait consoler un Bourbon des malheurs de la France, écrivait-il, c’était sans aucun doute l’intérêt d’un grand roi tel que Gustave. Il eût été doux au prince d’admirer de plus près des vertus manifestées avec tant de grâce et de dignité ; mais il devait, dans un temps si critique pour sa patrie et pour son roi, se tenir à portée d’en recevoir des nouvelles, jusqu’au moment où il lui serait permis de rentrer en France d’une manière qui convînt à sa naissance et à la pureté de ses sentimens. — La vieille comtesse de Boufflers refusa, elle aussi, un asile dans le Nord, mais demanda sans façon une pension annuelle de douze mille francs ; sans pouvoir affirmer que le maigre trésor du roi de Suède ait offert à la comtesse un tel secours, nous trouvons, à la date du 10 mai 1790, une lettre où elle remercie le roi de ses bienfaits.

Gustave III n’avait pas tardé non plus à offrir le secours de ses armes, mais tout d’abord sans se compromettre. Dès l’automne de 1789, le baron de Taube, qui possédait son intime confiance, vint aux eaux d’Aix-la-Chapelle pour guérir une blessure qu’il avait reçue pendant la guerre de Russie, et entama avec les représentans de Louis XVI de secrètes négociations. Le traité d’amitié et de subsides conclu entre les deux cours le 1er juillet 1784, pour six ans, devait bientôt expirer ; le négociateur suédois offrait de le renouveler ; la Suède enverrait dès le printemps suivant dans la Manche une escadre auxiliaire de douze à quinze vaisseaux de ligne, à la condition qua la France augmentât les subsides et rompît son alliance avec l’Autriche. Taube ne put qu’échanger quelques paroles à ce

  1. Papiers d’Upsal, tome XVI, n° 51.
  2. Même recueil, n° 62.