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contre les Russes, témoigne au reste de la préoccupation constante que lui causent les affaires de France.


« Les choses en France vont de mal en pis, mande-t-il au comte de Stedingk le 1er août 1789. Les gardes-françaises et même les gardes-du-corps ont fait une déclaration dans le goût de celle que fit l’armée suédoise l’année dernière. On ne sait pas quel parti le roi prendra. Le pis dans ces occasions désespérées, c’est de ne pas prendre de parti du tout. Tout cela me fait de la peine : je ne puis quitter l’habitude de m’intéresser à ce pays et à son roi. Un sentiment entretenu pendant quarante-trois ans ne s’efface pas si vite. »

« 3 août. — La France se bouleverse de plus en plus : M. Necker exilé, M. de Breteuil principal ministre… Avec tout cela une émeute affreuse à Paris, le feu aux quatre coins de la ville, l’arsenal pillé et les armes entre les mains du peuple ! Le tocsin de Notre-Dame sonne sur les troupes du roi ; les Allemands campent au Champ-de-Mars, livrant bataille dans la ville, où il y a eu beaucoup de monde tué : voilà ce que nous apprend aujourd’hui la poste ; voilà ce qu’on fait dans la délicieuse France ; voilà le fruit de la faiblesse et de l’irrésolution ! »


Gustave savait avec quelle douleur le brave comte de Stedingk, qui combattait alors pour lui aux extrémités de la Finlande, recevait de tels messages. Aussi lui écrivait-il le 7 août, après lui avoir fait part de quelques succès remportés par un bataillon finlandais sur les Russes : « Je viens de réjouir le général suédois ; je vais affliger le colonel français attaché à la reine et à la France. » Puis suivait le récit de la prise de la Bastille :


« Rien de plus affreux que ce qui s’est passé à Paris du 12 au 15 juillet : les Invalides forcés, le canon et les armes employés contre la Bastille ; cette forteresse prise d’assaut ; le gouverneur, M. de Launai, traîné par la populace à la place de Grève, décapité, sa tête portée en triomphe autour de la ville ; le même traitement fait au prévôt des marchands ; la formation d’une milice bourgeoise de 48,000 hommes ; les gardes-françaises et les Suisses réunis avec le peuple ; M. de Lafayette proclamé commandant-général de la milice parisienne, les cocardes bleues et rouges arborées ; les états déclarant les ministres du roi et les agens civils et militaires de l’autorité responsables à la nation ; le roi enfin, seul, avec Monsieur et le comte d’Artois, allant à pied, sans suite, au milieu de l’assemblée, faire presque amende honorable, et demander du secours pour apaiser les troubles, voilà comment la faiblesse, l’incertitude et une imprudente violence vont renverser le trône de Louis XVI. Je suis encore si affecté de ces nouvelles que je crains que ma lettre ne s’en ressente. Adieu, mon cher Stedingk. »


Plus la situation violente de la France se prolongeait, plus le roi de Suède était impatient de la guerre qui le retenait aux extrémités de son royaume. D’ambitieux projets commençaient à grandir dans